Information transmise par R. Chaulet:
Présentation éditeur
En Castille, la violence homicide fait partie des modes habituels de règlement des conflits. Si la justice royale cherche à la limiter, elle se heurte souvent à l’Église qui, par un intense exercice du droit d’asile permet souvent aux coupables d’échapper au châtiment. Partant du pardon que le monarque espagnol a octroyé au coupable — les Perdones de Viernes Santo, jamais étudiés de façon systématique jusqu’ici —, ce livre retrace l’histoire des criminels homicides et de leurs victimes en Castille au XVIe et au XVIIe siècle. Souvent payante aux périodes difficiles du XVIIe siècle, même si elle s’entoure de motifs religieux, la grâce royale n’est concédée que si le pardon de la partie lésée a été précédemment consenti, originalité de la procédure castillane qui intègre des modes d’arrangement privés aux procédures officielles. Notre enquête procède d’aval en amont : elle débute à la fin du procès, au moment où le pardon royal est accordé, et se poursuit à rebours jusqu’à l’accomplissement de l’acte délictueux. Le cadre de la violence observée dans les archives castillanes est très majoritairement urbain et la rue en est le lieu le plus fréquent. Les criminels agissent surtout la nuit et leur arme favorite est l’épée qu’ils manient avec suffisamment de précision pour provoquer la mort rapide de leur victime, dans des oppositions qui prennent souvent l’aspect d’un duel improvisé où la question de la défense de l’honneur est centrale. S’il n’est guère possible de mesurer le degré réel de violence exercée dans la société, celui que laissent entrevoir les documents d’archives des pardons royaux s’accorde peu aux lieux communs qui font de l’Espagne la terre de tous les excès.
Rudy Chaulet
Crimes, rixes et bruits d’épées.
Homicides pardonnés en Castille au Siècle d’or
Montpellier, PU de la Méditerranée (Montpellier 3), 2007, 478 p., 46€.Crimes, rixes et bruits d’épées.
Homicides pardonnés en Castille au Siècle d’or
Présentation éditeur
En Castille, la violence homicide fait partie des modes habituels de règlement des conflits. Si la justice royale cherche à la limiter, elle se heurte souvent à l’Église qui, par un intense exercice du droit d’asile permet souvent aux coupables d’échapper au châtiment. Partant du pardon que le monarque espagnol a octroyé au coupable — les Perdones de Viernes Santo, jamais étudiés de façon systématique jusqu’ici —, ce livre retrace l’histoire des criminels homicides et de leurs victimes en Castille au XVIe et au XVIIe siècle. Souvent payante aux périodes difficiles du XVIIe siècle, même si elle s’entoure de motifs religieux, la grâce royale n’est concédée que si le pardon de la partie lésée a été précédemment consenti, originalité de la procédure castillane qui intègre des modes d’arrangement privés aux procédures officielles. Notre enquête procède d’aval en amont : elle débute à la fin du procès, au moment où le pardon royal est accordé, et se poursuit à rebours jusqu’à l’accomplissement de l’acte délictueux. Le cadre de la violence observée dans les archives castillanes est très majoritairement urbain et la rue en est le lieu le plus fréquent. Les criminels agissent surtout la nuit et leur arme favorite est l’épée qu’ils manient avec suffisamment de précision pour provoquer la mort rapide de leur victime, dans des oppositions qui prennent souvent l’aspect d’un duel improvisé où la question de la défense de l’honneur est centrale. S’il n’est guère possible de mesurer le degré réel de violence exercée dans la société, celui que laissent entrevoir les documents d’archives des pardons royaux s’accorde peu aux lieux communs qui font de l’Espagne la terre de tous les excès.
Source: http://www.pulm.fr/crimes-rixes-et-bruits-d-epees
Recension in Revue d'Histoire moderne et contemporaine, n°55-4 2008/4, p. 167s., par R. Muchembled
"Voici la version remaniée et soigneusement mise au point d’une thèse sur la violence en Vieille-Castille de 1587 à 1700. Présentées en annexe, les sources principales sont composées de 453 demandes de pardon pour homicide soumises au roi. La grâce est accordée soit de manière payante – parfois pour une forte somme – soit gratuitement, en mémoire de la passion du Christ, sous forme de « pardons du Vendredi Saint » solennellement octroyés durant une cérémonie religieuse en présence du monarque. Les derniers sont les plus nombreux, avec 265 exemples, dont 47 ne suivent pas la règle de gratuité. Au préalable, le criminel a dû obtenir l’apartamientoou pardon de la partie lésée, souvent après avoir négocié un dédommagement financier avec la famille de la victime. Quoi qu’en dise l’auteur, cette disposition n’est pas une originalité castillane. Elle figure systématiquement dans les lettres de rémission délivrées aux Pays-Bas par les souverains espagnols :« satisfaction préalablement faite à partie intéressée ». Il a pourtant raison de souligner à ce propos la grande importance des procédures infrajudiciaires de règlement des suites de conflits mortels. Vengeance ou traités privés tiennent assurément plus de place que la volonté royale dans la régulation quotidienne de la violence. Il se pourrait même que la Vieille-Castille demeure beaucoup plus attachée à de telles pratiques que les Pays-Bas, si l’on interprète sous cet angle le nombre très faible de pardons par rapport à la population, presque dix fois moins qu’en Artois sous tutelle espagnole à la même époque (p.65). La question posée est celle de l’importance de l’indicateur choisi pour aboutir à une large histoire sociale et culturelle. Relier l’âge d’or du pardon castillan, vers 1620-1640, à la situation financière désastreuse de la couronne paraît un peu court, d’autant que plus de la moitié des exemples – 237 exactement – sont délivrés gratuitement. On y reviendra pour tenter d’élargir les perspectives de ce remarquable ouvrage.
Fruit d’une rigoureuse méthode, celui-ci se développe en trois parties. La première présente les documents, le contexte politique, démographique et judiciaire, puis le thème historiographique de la violence. Parfaitement dominé, le dernier point aboutit à une question centrale :la Castille est-elle différente du reste de l’Europe du temps ? On note que Madrid a été délibérément exclue de l’enquête, à cause de la concentration excessive de demandes de pardon en ce lieu carrefour. Le terrain, comme d’autres secteurs géographiques, est libre pour la recherche, car le total des pardons de la période est estimé à près de 7000.
La deuxième partie analyse minutieusement le temps, l’espace et les acteurs de la violence pardonnée. Celle-ci se révèle plus intense en janvier et en été, particulièrement faible en avril et en décembre. Le dimanche la voit culminer, tandis qu’elle atteint son minimum le vendredi.À la différence de l’Artois de la même époque, la nuit est le moment privilégié de l’homicide, dans un cas sur deux. Le paroxysme se situe vers 21 heures, suivi par un rapide déclin, très peu de meurtres ayant lieu après minuit. Le cadre urbain se taille la part du lion, avec près de deux tiers des cas, en particulier Valladolid, qui enregistre 99 pardons. La rue urbaine est le principal théâtre des combats, la maison voit plutôt se commettre des violences familiales. Les données sont d’autant plus intéressantes qu’elles sont beaucoup plus complètes qu’ailleurs : en effet, en Castille, la demande de grâce est souvent accompagnée du procès. Les acteurs ne se différencient cependant guère de ceux des autres pays : 98% des meurtriers et 89% des victimes appartiennent au sexe masculin. R. Chaulet ne leur accorde qu’un cinquième du chapitre dévolu à ce thème, préférant consacrer de longues et intéressantes descriptions aux femmes, aux enfants et aux antagonismes entre riches et pauvres. Le groupe le plus représenté est celui des artisans citadins, les données inconnues dépassant à peine un quart du total. La seule grande lacune du corpus concerne l’âge des combattants, impossible à approcher dans 60% des cas. Pour le reste, les mozos ou jeunes hommes de moins de trente ans composent 70% du contingent identifiable selon ce critère, avec une quasi égalité entre les agresseurs et les victimes.
La dernière partie tente de préciser la place sociale et culturelle occupée par l’homicide dans la société castillane. L’arme favorite, dans toutes les couches sociales et pratiquement autant chez les artisans que chez les nobles, est l’épée (53% des cas), suivie par le couteau (18%). Il s’agit d’une civilisation urbaine de l’épée, car son usage augmente proportionnellement à la taille des villes. Il est dommage que le cas de Valladolid ne soit pas isolé, car une excellente carte de synthèse (p.155) montre que la province du même nom concentre 40% des demandes de pardons et qu’un cercle de 80 km débordant sur d’autres régions en contient plus de la moitié. Le phénomène est évidemment lié au rôle judiciaire primordial de Valladolid, peuplée d’environ 40000 habitants à la fin du XVIe siècle. Mais on décèle également un phénomène d’imitation comportementale que l’auteur traite trop rapidement, faute d’avoir distingué systématiquement les villes des campagnes dans la deuxième partie du livre.À rebours de l’Artois où domine l’homicide pardonné d’origine rurale, une profonde originalité urbaine castillane apparaît : des jeunes citadins, souvent artisans ou serviteurs, combattent des pairs, la nuit, vers 21-22 heures, un dimanche ou un jour de fête, dans la rue, à l’épée ou au couteau. Il ne semble pas s’agir de royaumes de jeunesse classiques, tels ceux des paysans artésiens, ni de rites de virilité traditionnels qui visent à blesser plus qu’à tuer. En effet,87% des victimes ont reçu un seul coup au cours d’un face-à-face n’impliquant aucun autre protagoniste dans un cas sur deux. Si l’épée a été utilisée, elle a majoritairement touché la poitrine de l’intéressé, qui en est mort sur le coup dans 46% des occurrences, alors qu’une blessure à la tête causée par une autre arme entraîne moins souvent et moins rapidement une issue fatale. Il paraît évident que la formule de base est constituée par un duel à l’épée entre deux jeunes hommes, parfois quatre ou plus dans un quart des exemples, sur le pavé urbain, une nuit dominicale. Cette pratique apparemment nouvelle, qui culmine vers 1620-1640, semble se diffuser à partir de Valladolid, dont la population comprend d’ailleurs 30% de hidalgos, d’abord dans toutes les couches sociales du lieu – mais avec une moindre intensité dans les quartiers les plus populaires (carte p.195) – puis en taches d’huile dans les autres villes de la province et au-delà.
Le dernier chapitre cherche à découvrir les origines de la violence. Il lie de manière très convaincante les actes brutaux à la défense de l’honneur, au modèle chevaleresque et aux ressorts guerriers puissants en Castille. Il montre aussi avec finesse que la monarchie, tout en poursuivant l’homicide, est « complice des causes qui ont mené à sa réalisation ». Seul manque le lien avec l’éducation nouvelle au point d’honneur et au duel, d’une jeunesse urbaine issue de tous les milieux. Il ne s’agit probablement pas seulement d’imiter les valeurs nobiliaires, mais de tenir son rang de jeune mâle castillan sur le pavé urbain et d’acquérir ainsi le courage nécessaire pour devenir un soldat de la redoutable infanterie espagnole. C’est sans doute pourquoi la monarchie condamne l’homicide par principe chrétien, mais le tolère et le pardonne par nécessité, pour les besoins de la défense de l’empire. Et l’Église lui emboîte le pas, ce qui pousse R.Chaulet à dire que celle-ci ne cherche nullement à modérer la violence. Il est vrai qu’elle ne paraît pas très préoccupée d’interdire vigoureusement et ouvertement cette forme d’homicide lié à l’honneur, finalement utile pour former des guerriers qui seront aussi des défenseurs de la foi. Elle contrôle cependant la situation de plus près que ne le prétend l’auteur. En témoigne la limitation du nombre des combats mortels révélée par les chiffres :7000, au plus, pour l’ensemble du royaume durant toute la période, alors que l’Artois espagnol présente à lui seul plus de 3500 cas du début du XVIe siècle à 1660, pour une population de 200000 habitants. En outre, une plus grande imprégnation religieuse des combattants que dans d’autres pays apparaît, car les duellistes castillans respectent de près les rythmes essentiels du christianisme en évitant de verser le sang en avril, en décembre et le vendredi, moments éminemment sacrés des fêtes de Pâques, de l’Avent, de Noël et du jour anniversaire de la Passion, et en cherchant le couvert de l’obscurité pour s’adonner à leurs brutaux jeux mortels.
L’ouvrage fera date, car il apporte énormément d’informations et d’idées, pour une meilleure compréhension du siècle d’or castillan. Il laisse aussi émerger d’importantes interrogations à propos de la manière dont une société chrétienne organise ses discours et ses pratiques pour justifier ou tolérer l’injustifiable :l’homicide. Il débouche enfin sur un vaste questionnement, inspiré par la courbe en cloche des demandes de pardon :celle-ci suit de très près le mouvement ascendant de la puissance espagnole jusqu’en 1640, puis épouse celui de son déclin par la suite. Quels ressorts secrets de la société urbaine castillane ont donc commencé à se dérégler vers 1640 ? Les demandes de grâce s’effondrent alors durablement, tandis que la France – pays où le duel continue à connaître son âge d’or – affirme son hégémonie en Europe. En Castille, la royauté et l’Église auraient-elles fini par imposer plus profondément le précepte « tu ne tueras point » et à émousser très largement l’ardent besoin du face à face mortel juvénile en le détournant vers des exutoires tels que la corrida, apaisant ainsi toujours davantage la violence meurtrière, au détriment de l’esprit guerrier qui faisait la force des armées hispaniques sous le duc d’Albe et ses successeurs ?