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21 avr. 2011

Micrologus, colloq internat, "Nature, norme et morale. Ordre de la nature et loi(s) naturelle(s) à la fin du Moyen Âge", Paris 30 mai-1 juin 2011

Information transmise par Fr. Audren:
Micrologus
Colloque international 

Nature, norme et morale. Ordre de la nature et loi(s) naturelle(s) à la fin du Moyen Âge
Paris
30 mai-1er juin 2011 


Présentation 
A quel point la nature a-t-elle ou est-elle un pouvoir normatif au Moyen Âge, soit comme source du bien et de la morale, soit comme l'aune à laquelle les actions humaines et les systèmes sociaux, politiques et juridiques peuvent être mesurés? La polysémie notoire du terme « nature » (et, par conséquent, du « contre-nature ») dans la pensée médiévale suggère que la réponse à cette question ne saurait être univoque ou simple.



En fonction des contextes de son utilisation, la nature peut renvoyer à l'ensemble de l'univers ou à l'essence d'un individu ou d'un groupe. Les médiévaux mettent sur un piédestal la Nature — parfois représentée comme une reine qui juge, ordonne, arbitre ou gouverne — et analysent aussi la nature d'une espèce, d'un peuple, d'une personne. Les écarts entre ces différents niveaux peuvent conduire à qualifier certains comportements (l'homosexualité, le cannibalisme, la cruauté, la folie meurtrière, la tyrannie) d'inhumains, de monstrueux ou de contre-naturels.

Les fluctuations sémantiques du concept se révèlent particulièrement lorsqu'on s'interroge sur ses antonymes. Sans épuiser toute la richesse des sens, la nature peut s'opposer à l'art, à l'histoire, à Dieu, à la grâce, à la liberté, à la volonté, à la civilisation. De plus, si les pôles de ces alternatives se recouvrent parfois, au moins partiellement, ce n'est pas toujours le cas. La nature peut se démarquer de Dieu et du divin, par exemple dans la nouvelle science cosmologique du XIIe siècle, où la nature acquiert une certaine autonomie, créant, par ricochet, la catégorie du surnaturel. Mais cette nouvelle conception de l'ordre de la nature (cursus naturae ou ordo naturae) que l'homme peut étudier sans en appeler à Dieu, n'efface pas un autre sens, selon lequel la nature s'identifie à lui. En tant que Création, la nature est une manifestation du pouvoir divin et un agent de sa puissance.

Dans un tout autre registre, la nature peut s'opposer à la (mauvaise) coutume, mais la coutume, qu'elle soit bonne ou mauvaise, peut aussi, tout comme l'habitus, fruit d'une longue pratique d'intériorisation de la norme morale, et tout comme l'altération durable du corps par une maladie chronique ou des habitudes alimentaires et comportementales, être pensée comme une seconde nature. Ces utilisations métaphoriques pour décrire les dynamiques de l'acquis et de l'inné dans les sphères du droit, de l'éducation et de la santé témoignent de la force de l'autorité normative de la nature. Les réflexions médiévales sur la catégorie de l'artificiel comme imitation de la nature — et la qualification de son dépassement d'impossible ou de violation — vont dans le même sens.

Le flou sémantique se confirme pour le concept de loi naturelle. Elle peut, selon les cas, être distinguée du droit civil et du droit des gens (et comprise comme la loi commune à toutes les nations, ou comme la norme qui s'applique même aux animaux) ou interprétée, dans une optique augustinienne et chrétienne, comme la norme du « temps de la nature » (originaire, puis déchue) antérieure aux temps de la Loi et de la Grâce. Elle peut aussi être identifiée à la raison pratique qui participe à la loi éternelle et peut parfois s'opposer à la pratique du droit. Enfin, approche sans doute la plus « naturaliste », l'appel à loi naturelle peut renvoyer à l'idée d'un ordre naturel des institutions qui correspondrait à l'ordre de la nature et à la « nature des choses ».

Ces différents sens de la nature sont, sans être forcément contradictoires, construits selon des modalités diverses, dans des contextes spécifiques. Chaque sens attribue une valeur normative différente, et une importance plus ou moins grande, à la nature. L'ambiguïté du concept rend également possibles les glissements — conscients ou inconscients, parfois chez un même auteur et dans un même texte —, d'un sens à un autre. L'appel à la nature est particulièrement utile dans des contextes polémiques, ce qui peut expliquer ces incohérences, ainsi que, parfois, l'impression d'un certain manque de rigueur: on se fait partisan de la nature et on change son fusil d'épaule selon les circonstances argumentatives.

Le colloque que nous proposons a pour objectif d'interroger les rôles multiples et souvent problématiques et ambigus de la nature dans les normes médiévales. Quels sont les domaines où l'autorité morale de la nature est mobilisable et mobilisée? Comment le concept de la nature et de son ordre ou loi fonctionne-t-il, en théorie et en pratique, comme norme morale, sociale, juridique, et quelle est l'évolution de l'appel à la nature durant les derniers siècles du Moyen Âge? Quel est, enfin, l'étendu de ce pouvoir normatif; quelles sont ses forces et ses faiblesses et quels les facteurs qui renforcent ou au contraire limitent son emprise?

Signalons, en anticipant, que le pouvoir normatif de la nature ne peut évidemment pas être absolu, du moins pour l'homme. Sinon, la morale, le droit, la vertu seraient non seulement superflus, mais même, structurellement impossibles. La définition chrétienne de la vertu et des vices suppose des actes qui ne soient ni automatiques ni nécessaires. La participation de la volonté et de la raison, caractéristiques humaines dont les rapports réciproques sont vivement débattus au Moyen Âge, est indispensable. De plus, la nature humaine viciée ne saurait suffire à elle même, sans le concours de la grâce. Pour être source de valeurs, la nature doit d'abord être rendue précieuse. En même temps, on peut penser que l'universalisme chrétien qui égalise tous les êtres humains devant Dieu (tous descendent d'Adam et de Noé et participent de ce fait à la 'vérité de la nature humaine') a contribué à la promotion du concept de loi naturelle et des droits naturels attachés à la nature humaine en vertu de la seule naissance, tout en constituant un obstacle au développement d'une théorie d'inégalités naturelles ancrées dans les différences corporelles.

Afin de bien délimiter la problématique, il convient aussi de souligner ce que l'on laisse dehors. Il ne s'agit pas d'étudier les cosmologies médiévales en tant que telles, ni même de suivre le développement de l'idée de l'ordre de la nature dans la science médiévale. A moins, bien sûr, de s'interroger sur les conséquences de ce concept d'ordre naturel sur le plan moral. Au Moyen Âge, l'ordre de la nature n'est jamais une loi d'airain. La nature laisse échapper des erreurs et elle est source de forces qui enduisent en erreur les hommes. De même, les cosmologies, classifications et hiérarchisations de la nature — et plus généralement les théories sur son fonctionnement — nous intéressent dans la mesure où elles agissent comme des projections de l'ordre social ou morale sur la nature, et inversement, comme des justifications de cet même ordre. On peut ainsi se demander à quel point les théories et pratiques scientifiques et médicales peuvent être considérées comme une éthique laïque, qu'elle s'inscrit en porte-à-faux par rapport à la norme chrétienne ou qu'elle la confirme.

Le terrain de recherche que nous proposons n'est pas vierge. Cependant, la bibliographie, plus ou moins riche selon les domaines et les périodes, reste très dispersée. Plutôt que d'épuiser le sujet, elle offre autant de pistes à explorer davantage. Elle invite, surtout, à une approche interdisciplinaire qui permettra d'arriver à une vision d'ensemble en réunissant des spécialistes de disciplines très diverses: science, médecine, philosophie, théologie, droit, idées politiques, institutions, pratique judiciaire, techniques, art, littérature.
Programme
Lundi 30 mai --- Institut historique allemand
9h30 Arrivée des participants
  • 10h Agostino Paravicini Bagliani (Université de Lausanne / Académie des Inscriptions et Belles Lettres) et Maaike van der Lugt (Université Paris Diderot - Paris 7 / IUF), Introductio
  • 10h30 Francesco Santi (Università degli studi di Cassino), Il problema del matrimonio omosessuale in Ugo di San Vittore
11h15 Pause
12h15 Déjeuner
15h30 Pause
Mardi 31 mai --- Institut historique allemand
11h Pause
12h Déjeuner
15h30 Pause
  • 15h45 Joseph Ziegler (University of Haifa), Regula ingeniosae naturae: on the nature of character and behaviour in late-medieval physiognomy
Mercredi 1 juin --- INHA, Salle Vasari
  • 9h30 Jean-Patrice Boudet (Université d'Orléans / IUF), Nature et contre-nature dans l'astrologie médiévale: le cas du Centiloquium du Pseudo-Ptolémée
  • 10h15 Danielle Jacquart (Ecole Pratique des Hautes Etudes), Norme naturelle, norme religieuse: convergences et divergences
11h Pause
12h45 Clôture 
Lieux:
Le colloque se déroule à l'Institut historique allemand (le lundi 30 mai et le mardi 31 mai) et à l'INHA, salle Giorgio Vasari (le mercredi 1er juin).
  • Institut historique allemand (lundi 30 mai et mardi 31 mai) 8, rue du Parc-Royal, 75003 Paris - tél. + 33 (0) 1 44 54 23 80 - L'Institut se trouve au coeur du quartier du Marais.  -  Métro: Chemin Vert (ligne 8) ou Saint-Paul (ligne 1) - Autobus: ligne 29 et ligne 96 -Plan détaillé
  • INHA, salle Giorgio Vasari (mercredi 1er juin), Galérie Colbert, 6 rue des petits-champs, 75002 Paris - tél. + 33 (0) 1 47 03 89 00 - Métro: Bourse (ligne 3), Pyramides (ligne 7 et 14), Palais royal/Musée du Louvre (ligne 1) - Plan détaillé  -  http://www.ratp.fr
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