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18 juil. 2011

AFDA, Prix de thèse 2011: A. Gaillet, "L’individu contre l’État.. Essai sur l’évolution des recours de droit public dans l’Allemagne du XIXe s."

Association française pour la Recherche en Droit administratif
Prix de thèse de l’AFDA 2011

Aurore Gaillet
L’individu contre l’État
Essai sur l’évolution des recours de droit public dans l’Allemagne du XIXe siècle

 Thèse en cotutelle: Université de Strasbourg et Albert-Ludwigs-Universität Freiburg (im Breisgau)
(sous la dir. de M. le Pr. Olivier Jouanjan et Th. Würtenberger).

Composition du jury de soutenance de thèse:

  • Professeur Pascale Gonod (présidente)
  • Professeur Jacky Hummel (rapporteur)
  • Professeur Olivier Jouanjan (co-directeur de thèse)
  • Professeur Joachim Rückert
  • Professeur Michael Stolleis (rapporteur)
  • Professeur Thomas Würtenberger (co-directeur de thèse)

Composition du jury du prix de thèse 2011 de l'AFDA:
  • Professeur Sabine Boussard, 
  • Professeur Michel Degoffe, 
  • Professeur Mathieu Doat, 
  • Professeur Jean-Claude Douence (président), 
  • Professeur Michel Fromont
  • Professeur Catherine Ribot

  
Photo: source site de l'AFDA / 
remise du prix de thèse 2011 de l'AFDA, Grenoble, juin 2011 
(de gche à dte: Pr. C. Ribot, Mlle A. Gaillet, Pr. S. Boussard)
    Cf. infra résumé et sommaire 


    Résumé

    Aurore Gaillet
    L’individu contre l’État
    Essai sur l’évolution des recours de droit public dans l’Allemagne du xixe siècle


    Thèse en cotutelle
    sous la direction de Monsieur le Professeur Olivier JOUANJAN (Université de Strasbourg) et de Monsieur le Professeur Thomas WÜRTENBERGER (Université de Fribourg-en-Brisgau)[1]

    Thèse honorée du Prix de thèse 2011
    de l’Association Française pour la Recherche en Droit Administratif et de l’un des prix décernés par le conseil scientifique de l’Université de Strasbourg.

     "L’idée d’une thèse consacrée à « L’individu contre l’État. Essai sur l’évolution des recours de droit public dans l’Allemagne du xixe siècle » est née de l’opposition classique entre les approches allemande et française du contentieux de droit public : la première mettant l’accent sur la protection des droits « subjectifs » des individus, la seconde sur la garantie de la légalité « objective ».
    En France, nonobstant les réformes récentes, la prévalence d’une approche objective se présente en partie comme le produit d’un environnement doctrinal, jurisprudentiel et politique, historiquement hostile à la réception des droits publics subjectifs[2]. En Allemagne, il est certes fréquemment rappelé qu’un mouvement de « subjectivisation » a été entrepris au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pour autant, les concepts de « droits publics subjectifs » ou de « rapport de droit », ou encore l’association étroite entre la fonction juridictionnelle et la protection juridique (Rechtsschutz) n’ont pas été découverts par la science juridique allemande après 1945. Celle-ci s’est bien plus emparée de ces éléments traditionnels déterminant les rapports juridiques entre le particulier et la puissance publique, afin de placer résolument l’individu au cœur du système juridique. Comme en France, le xixe siècle forme ainsi une période constitutive pour l’établissement des traditions juridiques nationales en général et pour la constitution du droit public en particulier.
    Plus que la protection concrète des droits individuels – laquelle ne fait pas l’objet d’une étude approfondie –, c’est une réflexion sur l’empreinte fondamentale de certaines représentations juridiques sur la structure des recours de droit public en Allemagne qui est proposée dans la thèse. L’analyse est centrée sur la construction des voies de droit tendant à protéger les droits individuels contre les ingérences de la puissance publique. Elle conduit à intégrer les recours constitutionnels comme administratifs. Dès lors qu’elle se propose d’étudier dans quelle mesure les étapes de cette évolution des recours portent la marque de l’histoire constitutionnelle et politique, elle embrasse de surcroît un contexte plus large. La perspective choisie tend ainsi à comprendre comment, dans l’Allemagne du xixe siècle, l’élaboration des recours de droit public témoigne à la fois des rapports entre l’individu et l’État monarchique et du développement de principes juridiques inhérents à la culture juridique allemande.

    L’une des caractéristiques essentielles de la recherche tient à son approche transversale, puisqu’il s’agit d’étudier des mécanismes de protection juridique, constitutionnels comme administratifs, en incluant l’arrière-plan posé par l’évolution historique et doctrinale et en éclairant le propos par une perspective franco-allemande. Cette étude transversale dans son objet – histoire du droit, droit constitutionnel, droit administratif –, dans l’espace – droit français et droit allemand – et dans le temps – étude centrée sur le xixe siècle, mais qui tend aussi à « savoir pourquoi le droit allemand est tel qu’il est »[3] – bride toute quête d’exhaustivité. À cet égard, il s’agit d’un essai sur l’évolution des recours de droit public, et non un tableau complet qui en regrouperait tous les acteurs et toutes les applications. La difficulté était précisément liée à cette mise en perspective constante, s’efforçant d’aller au-delà d’une recension de la littérature existant sur ces questions, en Allemagne comme en France.

    Si l’accent est mis sur l’étude des évolutions allemandes, il importait de ne pas occulter les déterminants différents selon lesquels le droit public français s’est construit tout au long du xixe siècle. La recherche d’un équilibre dans l’observation des deux systèmes juridiques a certes été la source de difficultés supplémentaires. Le choix d’établir une communication entre ces deux systèmes demeure toutefois indispensable pour qui s’interroge sur la construction du système des recours dans l’Allemagne du xixe siècle. L’histoire du droit public montre en effet l’importance des influences exercées par la doctrine et par les solutions adoptées de part et d’autre du Rhin – que ce soit pour la réception ou pour le rejet d’une institution ou d’un concept juridique.

    Structure de la thèse - solutions et résultats obtenus
    Il importe tout d’abord de présenter les deux axes gouvernant la structure interne des différentes étapes de la réflexion.
    Le premier s’intéresse aux rapports – tant réels que construits par la doctrine – entre l’individu et l’État monarchique et à l’affirmation graduelle des droits du particulier face à l’État. L’évolution des recours de droit public révèle en effet la conceptualisation progressive des droits « publics » d’un individu, qui n’est plus un « sujet », sans être déjà un « citoyen ». Dans le cadre politique de la monarchie constitutionnelle, la fonction des représentants du peuple est majoritairement conçue comme un simple « concours », comme une limite à l’exercice du pouvoir étatique. De même, en l’absence d’aboutissement d’une révolution démocratique sur le modèle français, la liberté individuelle n’est pas érigée en fondement de l’État. Elle se présente bien plus comme le fondement d’une distance à l’État. Il s’ensuit une coexistence entre une protection renforcée de la sphère individuelle et le maintien d’un exécutif monarchique autonome. Une telle approche, fondée sur la représentation d’une société faisant face à l’État, marquera durablement les concepts du droit public allemand et, dans leur sillage, la structure des recours contre les ingérences étatiques.
    Ce processus n’est pas linéaire et différentes conceptions des droits individuels traversent le xixe siècle. La Constitution de Francfort du 28 mars 1849 consacre notamment des « droits fondamentaux », tendant à intégrer l’individu dans l’État. L’échec du projet politique et juridique issu de la révolution de 1848 infléchit cependant ces représentations. Les « droits fondamentaux » s’effacent alors au profit de droits strictement subjectifs : le citoyen allemand de la fin du xixe siècle est d’abord titulaire de droits publics subjectifs, droits opposables à l’autorité publique. Les controverses liées à l’émergence du concept de « droit public subjectif » rappellent toute la difficulté de questions à la fois classiques et propres à l’Allemagne de la seconde moitié du xixe siècle. Ces questions sont classiques parce que la recherche d’une définition de l’État comme étant capable de se soumettre au droit qu’il se donne lui-même, et plus encore de s’y soumettre suite à un recours individuel, innerve tout droit public. Dans le contexte de l’Allemagne wilhelminienne, ces questions sont toutefois envisagées sous un angle particulier, marqué par la fondation d’une « science » du droit public sur des bases subjectives.
    Le second axe développé au cours de la réflexion porte plus spécifiquement sur l’organisation concrète des voies de droit tendant à protéger les droits individuels contre les ingérences de la puissance publique. L’approche choisie requiert d’intégrer divers instruments, plus ou moins directs. Elle intègre les premières formes de recours constitutionnels et, à ce titre, permet d’analyser la construction de la justice constitutionnelle et sa place au cœur du système politique et constitutionnel d’un État monarchique et fédéral.
    Dès lors qu’elle se penche sur l’établissement de la justice administrative, « pierre de touche de l’État de droit »[4], l’étude s’intéresse également à la mise en place progressive des rapports entre l’administration, la justice et la loi. Comme en France, c’est précisément au xixe siècle que sont dessinés les contours du juge de l’administration, ce qui entraîne également une réflexion sur les fonctions de « juger » face à celle « d’administrer ».
    Cet effort de définition des recours de droit public dans l’Allemagne de la fin du xixe siècle permet aussi d’observer certaines différences avec la structure du contentieux administratif en droit français – et avec les approches qui les sous-tendent. En Allemagne, la définition progressive de recours subjectifs – face à la conception objective, qui leur est opposée avec un certain succès – est essentielle.

    Les deux parties de la thèse tendent à développer ces grands axes autour des deux moitiés du xixe siècle. Cette division chronologique, en apparence fort schématique, ne doit pas tromper. La construction s’explique avant tout par la rupture fondamentale qui marque le siècle en Allemagne. Celle-ci résulte tout à la fois de la révolution qui agite l’Allemagne en 1848 et de son échec en 1849. La désillusion consécutive à la défaite des partisans de la voie démocratique et libérale est, en effet, à la mesure des espoirs suscités. Elle est à l’origine d’une profonde rupture conceptuelle, bouleversant les représentations du droit, de l’individu et de l’État. En ce qui concerne spécifiquement l’organisation des recours contre les ingérences de l’administration, la rupture est également structurelle. Les États allemands s’éloignent précisément du modèle français de justice administrative, dont la légitimation progressive procède surtout de l’amélioration du système existant.
    Deux grandes phases sont ainsi distinguées :
    Une « phase de gestation » d’abord, qui commence au début du xixe siècle et inclut la période révolutionnaire de 1848. Lors de cette phase, sont posés certains principes essentiels pour l’évolution des recours de droit public et des rapports entre l’individu et l’État.
    Durant la première partie du siècle, la politisation du discours juridique a pour pendant l’établissement d’instruments de protection des droits individuels fondés sur l’organisation constitutionnelle des pouvoirs, et notamment sur les droits des représentants. Ces voies s’avèrent bien insuffisantes face à l’affirmation des États et à la circonscription concomitante du rôle du juge. Condamné par le programme libéral de 1848-1849, le système de l’administrateur-juge alors dominant ne s’impose pas durablement. Pour autant, les débats propres à cette première partie du siècle sont essentiels pour la détermination des fonctions respectives du juge et de l’administration, ainsi que de leurs rapports avec la loi. De même, malgré son échec, la Constitution de Francfort née de la révolution de 1848 contribue à enraciner l’idée, traditionnelle en Allemagne, selon laquelle il appartient au juge de rétablir le droit lésé, quel que soit l’auteur de la violation. Ces différentes étapes constituent de la sorte une phase de « gestation » pour la structure des recours de droit public.
    Une phase de « fondation » ensuite. Le choix de cette qualification s’explique par l’importance de cette période pour la détermination de certaines catégories toujours structurantes du contentieux administratif allemand. Du droit public subjectif au recours contentieux administratif, ces catégories traduisent la formalisation de l’État de droit et la construction subséquente du rapport individu / État en des termes juridiques.
    La rupture liée à l’« échec de 1848 » est fondamentale. Le changement de perspective tient au contexte politique, marqué par le blocage de l’évolution parlementaire. Mais il réside surtout dans le contexte théorique, qui voit naître la science du droit public allemand. Celle-ci s’efforce de forger de nouveaux concepts pour penser juridiquement l’État-puissance, mais aussi, in fine, l’individu et ses droits « publics ». Les conditions institutionnelles de la garantie des droits des particuliers s’envisagent dès lors à travers ce nouveau prisme. C’est lors de cette phase de « fondation », lors de la réduction de l’État de droit à la sanction formelle du principe de légalité, que sont posées certaines catégories du contentieux administratif allemand. Sans doute les deux conceptions du juge administratif, garant du respect de la légalité objective par l’administration ou censeur des violations des droits des particuliers, sont-elles longtemps opposées. Les termes des débats ne sont, du reste, pas sans rappeler ceux accompagnant l’évolution du recours pour excès de pouvoir français. En Allemagne, la structure fédérative permet par ailleurs une évolution différenciée de la justice administrative, pluralité des modèles mis en œuvre que la France ne connaît pas. Le cheminement vers une définition commune du recours en annulation n’en est que plus remarquable. Conformément aux représentations et concepts dominants, ce vecteur essentiel des rapports juridiques entre l’individu et la puissance publique est conçu comme le recours contre les actes individuels de l’administration, notamment des autorités de police, constituant une ingérence concrète dans un droit public subjectif, et porté devant un juge administratif indépendant, au moins en dernière instance.

    Résultats de l'analyse - conclusion
    La thèse n’embrasse certes pas toutes les perspectives soulevées par un projet se proposant d’étudier les rapports entre « l’individu » et « l’État ». Elle permet toutefois d’observer l’évolution des recours de droit public à la lumière tant de l’histoire constitutionnelle et politique mouvementée de l’Allemagne de xixe siècle que des représentations juridiques développées. L’absence d’accession de l’Allemagne à la démocratie représentative déplace radicalement les termes dans lesquels doivent s’envisager la définition des rapports entre l’État et la société civile, la place des individus et le rôle des tribunaux. En envisageant les rapports de l’individu contre l’État, elle souligne ce faisant l’ampleur des différences par rapport aux conditions historiques, politiques et intellectuelles existant en France au même moment. Ces différences se reflètent notamment dans la structure des contentieux de droit public.
    Il semble ainsi trop partiel d’affirmer que la conception subjective des recours de droit public résulte d’un choix déterminant opéré aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. On peut, au contraire, évoquer une tradition subjective des recours en Allemagne, même si les motivations juridiques, et surtout politiques, des législateurs du xixe siècle sont différentes, et malgré des conséquences inégales pour la protection juridique individuelle. Plus que la protection juridique concrète de l’individu, aujourd’hui associée à la « subjectivisation du droit », c’est bien l’origine, la signification et les contradictions d’une première conception subjective qui sont interrogées tout au long de la thèse. Ce faisant, il s’agit également de souligner l’empreinte maintenue des traditions comme des discours propres aux cultures juridiques nationales, en dépit de l’importance du processus de rapprochement en cours.

    Sommaire
    Première partie. - La phase de gestation
    Titre 1. - La question des recours individuels durant le Vormärz
    Chapitre 1. - Le cadre constitutionnel des rapports entre l’individu et l’État. Une évolution sans révolution
    Chapitre 2. - La détermination des rapports entre l’administration et la justice face à l’affirmation des États

    Titre 2. - 1848-1849: La consécration des recours individuels de droit public dans la Constitution de Francfort
    Chapitre 1. - L’individu et l’État dans la première Constitution libérale et démocratique
    Chapitre 2. - Les recours juridictionnels, rouages essentiels de l’État de droit libéral de 1848-1849

    Seconde partie. - La phase de fondation
    Titre 1. - L’État de droit formel ou la définition d’une relation juridique entre l’individu et l’État-puissance publique
    Chapitre 1. - Le renouvellement du cadre constitutionnel et théorique
    Chapitre 2. - L’évolution de la conception des droits de l’individu dans ses rapports avec la puissance publique

    Titre 2. - Le recours administratif contentieux, instrument de l’effectivité du rapport de droit entre l’individu et la puissance publique
    Chapitre 1. - Le renouvellement des instruments de garantie des droits publics individuels
    Chapitre 2. - Le recours contentieux en droit administratif allemand: aux origines d’un recours subjectif


    [1] Thèse présentée et soutenue publiquement à l’Université de Strasbourg le 4 décembre 2010 devant un jury composé de Madame le Professeur Pascale Gonod (Présidente), Messieurs les Professeurs Jacky Hummel (Rapporteur), Olivier Jouanjan (Co-Directeur de thèse), Joachim Rückert, Michael Stolleis (Rapporteur), Thomas Würtenberger (Co-Directeur de thèse). Mention : Autorisation de publication en l’état, proposition pour l’attribution de prix de thèse – conformément à la décision de son Conseil scientifique, réuni le 4 février 2009, l’Université de Strasbourg ne délivre plus les mentions « honorable – très honorable – très honorable avec les félicitations ».
    [2] Dans sa thèse de référence, Norbert Foulquier note ainsi que « [...] les conditions des droits publics subjectifs […] étaient réunies, mais les esprits n’y étaient pas préparés ». Partant, il refuse de voir dans la propagation actuelle du droit subjectif une « révolution ». N. Foulquier, Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d’un concept en droit administratif français du xixe au xxe siècle, Paris, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque des Thèses, 2003, resp. p. 151 et 694.
    [3] R. Wahl, « Aux origines du droit public contemporain », RDP, 2007, p. 817-843, et spéc. p. 818.
    [4] M. Stolleis, « Die Verwaltungsgerichtsbarkeit im Nationalsozialismus », in le même, Recht im Unrecht. Studien zur Rechtsgeschichte des Nationalsozialismus, 2e éd., Frankfurt a. M., Suhrkamp, 2006, p. 190-220, et spéc. p. 190. (« die Verwaltungsgerichtsbarkeit ist der Prüfstein des Rechtsstaates. »).



    Nota: le résumé et le sommaire de la thèse nous ont été aimablement transmis par l'auteure - contact: auroregaillet@hotmail.com


    Source: http://www.asso-afda.fr/Les-prix-de-these-de-l-AFDA