Information transmise par l'AFDA:
Université Paris Ouest Nanterre la Défense
Centre de théorie et d’analyse du droit
Appel à contributions
Journée d’étude jeunes chercheurs
Les usages de la tradition dans le droit
Nanterre
6 décembre 2012
(limite: 15 juillet 2012)
Comité d’organisation
- Manon Altwegg-Boussac
- Antoine Basset
- Eleonora Bottini
- Marie-Xavière Catto
- Keziban Kilic
- Jeremy Mercier
- Guillaume Richard
- Lionel Zevounou
Appel à contribution
L’invocation de la tradition fut au cœur de la critique de la révolution française, en premier lieu à travers les écrits de E. Burke dans son opposition avec T. Paine, qui seront récupérés plus tard par les contre-révolutionnaires, appelés d’ailleurs les traditionnalistes.
La tradition désigne un ensemble de croyances, de savoirs et de pratiques, de toute nature, transmis ou reconnus à l’intérieur d’un groupe social ou professionnel. Diverses traditions juridiques sont fréquemment identifiées, telles que le common law ou les droits de tradition romano- germanique : la distinction se fonde sur les mécanismes d’élaborations des normes, le rôle des juges ou la définition de leur office, et plus largement sur le caractère général des rapports entretenus par les individus avec le droit.
La tradition apparaît d’une part comme un objet appréhendé par le droit, qui lui donne un certain contenu variant selon les contextes juridiques et les cultures constitutionnelles – la référence à la tradition est omniprésente, par exemple, dans les décisions rendues en Asie. D’autre part, habituellement invoquée à l’appui de l’argumentation juridique – judiciaire ou scientifique –, elle doit être mise en relation avec une pensée du changement ou de la modernité. Les deux axes proposés pour cette journée d’étude permettront ainsi d’envisager la tradition comme objet du droit et comme argument utilisé en droit.
Axe 1/ La tradition comme objet saisi par le droit
Il faudra d’abord découvrir et ordonner les éléments (historiques, philosophiques, religieux, etc.) servant de point d’appui à la construction de ces traditions : plusieurs exemples en démontrent les différents usages.
Dans le contexte européen un espace commun de valeurs se dessine. La référence dans le Préambule de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux « États européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit » ainsi que la mention des « traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux États membres » dans le Préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, illustrent la volonté de convergence vers une tradition politique commune aux États.
Une autre dynamique, qui semble d’effet inverse, se traduit par la codification des traditions propres aux États ou à des groupes sociaux déterminés. La consécration des identités constitutionnelles et la prise en compte de la marge nationale d’appréciation par la Cour européenne des droits de l’homme limitent la représentation d’un modèle de traditions communes.
L’éventail des contenus donnés à la tradition est très large. La tradition religieuse est citée par de nombreux textes juridiques, constitutionnels notamment : on songe par exemple aux débats contemporains sur les références à la Sharia dans les constitutions issues du Printemps arabe. De même, l’acquisition de la nationalité est de plus en plus soumise à la maîtrise d’une culture nationale, d’une langue ou du partage d’un certain nombre de valeurs dont la somme fonde une identité nationale spécifique. En sens inverse, la législation pénale turque récente punit les crimes commis « au nom de la tradition », c’est-à-dire les crimes d’honneur.
Cette liste non limitative montre l’ampleur du contenu possible de la tradition et du niveau auquel elle se place : internationale, nationale, régionale, voire locale. On peut ainsi s’interroger sur la fonction identitaire de la tradition : ne crée-t-elle pas des éléments communs à des niveaux très différents, remettant en cause la place des États ? Ne consolide-t-elle pas certains aspects qui paraissent, à tort ou à raison, en danger (cf. la constitutionnalisation de la langue française) ? Les revendications de certains groupes religieux ou culturels se traduisent-elles par l’élaboration d’un contenu proprement juridique pour leurs différentes traditions ? Enfin, du point de vue juridique, quelle est la valeur accordée à la tradition: simple coutume, principe général, norme constitutionnelle indérogeable, voire supra-constitutionnelle ?
Axe 2/ La tradition comme argument juridique
L’utilisation de la tradition comme argument juridique témoigne d’un rapport ambigu au changement et à la modernité. Quels sont les enjeux des usages de la tradition par les juristes et quelles conclusions peut-on en tirer quant au droit ?
Du point de vue des juges, l’enjeu est de fonder une décision. Dans un premier sens, l’usage de la tradition peut tendre à préserver le statu quo : le recours au précédent peut être motivé par l’idée qu’une solution traditionnelle est un gage de sécurité juridique. Dans un sens opposé, l’usage de la tradition peut justifier une rupture avec le passé ou un revirement de jurisprudence. Ainsi en est-il lorsque le juge se réfère à l’évolution historique d’une fonction, à une coutume ou une pratique nouvelle pour fonder une solution novatrice. En ce sens, le Conseil d’État a fait référence récemment à « la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef d’Etat dans l’organisation constitutionnelle des pouvoirs publics» à propos d’une décision du CSA relative à la règlementation du temps de parole dans les médias. Elle est également une condition justifiant la consécration par le Conseil Constitutionnel de nouveaux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. La tradition semble alors servir l’actualisation du droit.
Quoi qu’il en soit, les questions restent multiples : à quelles conditions une solution est-elle dite traditionnelle ? Dans quelle mesure l’invocation de la tradition est-elle conforme ou au contraire en rupture avec une tradition ? La tradition invoquée est-elle elle-même conforme à la tradition pratiquée ? La tradition est-elle l’objet d’une interprétation ? Et si oui, l’activité d’interprétation de la tradition est-elle distincte de celle d’un texte ? En quel sens interprète-t-on une tradition ?
Du point de vue doctrinal, la tradition est parfois utilisée sous les apparences d’une proposition scientifique. La référence à la tradition permet de défendre une approche du droit hostile aux ruptures et valorisant la représentation d’une continuité historique ou axiologique de son objet.
On peut aussi penser à la tradition comme méthode d’interprétation du droit et notamment de la Constitution. Ainsi, certains juristes n’hésitent-ils pas à défendre une conception de l’interprétation juridique qui fait appel à la tradition de diverses façons, parfois – mais non nécessairement – complémentaires : soit parce qu’elle prétend maintenir le sens originel des termes mêmes du texte objet de l’interprétation ; soit encore parce qu’elle assigne à l’interprète d’atteindre les objectifs, buts et finalités visés par les auteurs du texte ; soit enfin parce qu’elle fait de la conformité à la tradition le critère d’évaluation de toute interprétation. On peut enfin penser à l’argument de la tradition comme justification soit de la fonction, soit de la raison d’être, d’un organe constitutionnel ou d’une autorité juridique.
En d’autres termes, l’argument de la tradition ne manque pas de soulever le paradoxe de l’usage contemporain du passé, que ce dernier l’emporte sur le présent ou qu’il lui cède la priorité.
Pratique
Les jeunes chercheurs (doctorants, docteurs, chargés de recherche et maîtres de conférences) qui désirent participer à la journée d’études doivent présenter leur proposition de communication au plus tard le 15 juillet 2012. Celle-ci ne devra pas dépasser 5000 signes. Elle sera idéalement accompagnée d’une brève présentation de son auteur (diplôme(s), statut et éventuelles publications). Les propositions seront recueillies à l’adresse suivante: journee.ctad@gmail.com. La liste des communications retenues sera envoyée avant la fin du mois d’août.
La journée fera l’objet d’une publication. Une première version de la communication devra, à cet effet, être envoyée avant le 15 novembre 2012. Après la journée d’études, la version finale sera relue par un comité scientifique spécialement constitué.