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4 janv. 2015

S. Luzzatto, "Le corps du Duce. Essai sur la sortie du fascisme", Gallimard, 2014

Sergio Luzzatto
Le corps du Duce
Essai sur la sortie du fascisme 
[Il corpo del duce]

Trad. de l'italien P.-E. Dauzat
Paris, Gallimard (NRF Essais), nov. 2014, 368 p., ISBN:9782070136315, 28€
Présentation éditeur
Au sommet de sa gloire, Mussolini fait don de son corps au peuple italien : photographies, affiches et films de propagande exaltent dans son physique ce que sera l'Homme nouveau. Le 29 avril 1945, ce même corps est suspendu par les pieds au treillis d'une station-service à Milan. Le régime fasciste a vécu. Mais l'Italie n'est pas pour autant sortie du fascisme. 
Un an après, à la veille du premier anniversaire de la Libération, un commando de jeunes néofascistes enlève de la fosse anonyme du cimetière de Milan la dépouille du Duce. Une fois celle-ci récupérée, la toute nouvelle République ne sait qu'en faire cependant : l'enterrer de nouveau, au risque de voir l'anonymat de la sépulture une fois encore percé par les nostalgiques du fascisme? Ou la rendre à la piété de sa veuve et de ses enfants, au risque de voir le caveau familial devenir un lieu de pèlerinage pour des cohortes de néofascistes? Dans le doute, les autorités profitent en secret de la disponibilité de l'Église : la caisse de bois brut est cachée dans un couvent, onze ans durant. 
L'Italie, poussée par la puissance du clérico-fascisme et la Guerre froide à s'attendrir chrétiennement sur les mésaventures des ex-fascistes plutôt qu'à s'enorgueillir des hauts faits des partisans, ne sait pas construire une mémoire fondatrice ni un culte patriotique sur le martyrologe des résistants. 
Entre l'Italie et la France, Sergio Luzzatto trame des fils plus robustes encore que ceux de l'enlèvement du cercueil de Pétain par des nostalgiques de Vichy en 1973, ou du mythe, commun à la mémoire néofasciste et à la mémoire pétainiste, du don de leur personne qui aurait fait du maréchal et du Duce des «boucliers» contre les exigences nazies. Les deux histoires sont avant tout unies par une gêne à l'égard de la Résistance comme événement fondateur. À Rome comme à Paris, une simple question d'ordre public – que faire de la sépulture d'un cadavre encombrant? – en cachait une autre, bien plus délicate : comment transformer une réalité historique qui par définition exclut et divise – celle du mouvement partisan – en un mythe fondateur inclusif et partagé?