Information transmise par N. Hakim:
Université de Bordeaux - Centre Aquitain d’Histoire du Droit
Appel à contributions
Colloque international jeunes chercheurs organisé par les jeunes chercheurs
du Centre Aquitain d’Histoire du Droit (Université de Bordeaux)
L'Histoire du Droit entre science et politique
Bordeaux
15-16 octobre 2015
(limite: 15 février 2015)
L’histoire de l’« histoire du droit »
se situe à un croisement des disciplines. Elle est aussi au cœur du débat
inhérent à la matière juridique sur la légitimité d’une « science »
du droit. Depuis la Rome antique, les juristes se sont évertués à trouver une
méthode scientifique propre au domaine du droit, capable de légitimer
l’édiction des normes juridiques. Le qualificatif de « science » a
été et est toujours sujet à la critique en raison des « imperfections et
des incertitudes »[1]
de la méthode juridique. Ces critiques ont été d’autant plus vives à la fin du xixe siècle, moment où le
terrain d’étude des sciences humaines a été investi par d’autres disciplines
telles que l’économie, la sociologie, la psychologie ou la science politique.
La science du droit, contestée dans sa
légitimité, a ainsi cherché dans l’histoire, une méthode capable de redonner au
droit sa primauté au sein des sciences sociales. Pour autant, la science (au
sens moderne) nécessite de « caractériser un objet propre et une méthode
propre : un champ d’étude autonome et un procédé de connaissance
irréductible à un autre champ du savoir »[2].
Le terme de science pouvant être compris comme un « ensemble de
connaissances et de recherches ayant un degré suffisant d’unité, de généralités
et susceptibles d’amener les hommes qui s’y consacrent à des conclusions
concordantes, qui résulte ni de conventions arbitraires, ni de goûts ou des
intérêts individuels qui leur sont communs mais des relations objectives qu’on
découvre graduellement et que l’on confirme par des méthodes de vérification
définies »[3].
L’approche historique a longtemps été utilisée
en tant que méthode scientifique pour justifier le droit positif. La discipline
« histoire du droit » a donc été marquée par cette fonction assignée
de science auxiliaire du droit. A ce
titre, l’histoire du droit a pu servir des politiques nationales en vue du
renforcement et du rayonnement des modèles juridiques concurrents dans l’Europe
de l’époque moderne et contemporaine. Ainsi, l’histoire du droit, d’abord
considéré comme méthode de découverte des normes puis comme enseignement
autonome, est érigée en tant que « science » au moment même où cette
discipline s’adosse à un projet politique explicite de renforcement des systèmes
juridiques nationaux.
Ce colloque international pose donc la question
de la scientificité de l’histoire du droit. Il vise à s’interroger sur les
méthodes adoptées par les historiens du droit. Il propose également de
réfléchir à l’impact qu’a eu cette affiliation au pouvoir dans la constitution
et la légitimité de cette discipline. Les éléments évoqués doivent être
considérés comme des invitations à réfléchir sur les thèmes de la scientificité
de l’histoire du droit et de sa politisation et ne sont pas exhaustifs quant
aux sujets qui pourront être portés à communication avant publication.
I/
La scientificité de l’histoire du droit en question
La question de la méthode est au centre de la
constitution de toute science. C’est aussi le cas pour l’histoire du droit. De
nombreux débats sur la scientificité de cette matière et sur la portée qu’elle
doit avoir, ont agité le milieu académique. Ces éléments prêtent à réfléchir
sur l’essence de cet objet d’étude, son enseignement et sur l’opportunité de sa
méthode d’analyse.
En France, la scientificité de l’approche
historique semble valider la reconnaissance d’un champ disciplinaire à la fin
du xixe siècle.
L’importance de l’histoire du droit en tant que matière autonome est consacrée
à la fois par son enseignement et ses enseignants, dont l’assise est renforcée
par l’agrégation, en dépit des oppositions que cette dernière suscite. Or,
cette spécialisation ne risque-t-elle pas d’engendrer l’isolement de ce nouveau
corps professoral ? Qu’est-ce qui justifie l’existence de cette
matière ? En somme, a-t-on besoin de l’histoire du droit ? Les
privatistes ou les publicistes n’ont-ils pas vocation à faire l’histoire de
leur propre discipline? Au delà de l’exemple français, quelle place
accorde-t-on à l’histoire du droit dans d’autres pays ? Cette discipline
a-t-elle connue une large diffusion en Europe au cours du xxe siècle ? Y a-t-il eu
des communications et des débats entre les professeurs européens ?
Par ailleurs, la constitution d’une matière
comporte nécessairement un objectif politique. Dans le cadre plus particulier
de la constitution de l’histoire du droit, s’agit-il de légitimer une approche
nationale du droit à l’heure de la montée des nationalismes ? Qu’en est-il
des États sous domination étrangère ? Font-ils leur propre histoire du
droit, ou celle du dominant ?
Une fois l’approche historique légitimée au
sein des universités, quels sont ses usages en tant qu’instrument
méthodologique pour le droit positif ? Permet-elle, à l’instar du droit
comparé, une approche critique ? Le comparatisme est-il un remède à
l’isolement ou au contraire, sert-il de justification au repli sur
soi inhérent aux approches nationalistes ? En outre, l’histoire du
droit est-elle mobilisée au sein d’autres disciplines qui appréhendent les
mêmes phénomènes, de manière implicite ou explicite, à l’exemple de
l’ethnologie, de la sociologie, ou de l’histoire ?
Enfin, quels sont les lieux de son
enseignement et pourquoi y est-elle enseignée ? L’objet juridique est
en effet mobilisé au sein de cursus non juridiques, à l’instar du Collège de
France ou de l’École nationale des chartes. Trouve-t-elle son utilité en dehors
des facultés de droit ? S’agit-il des mêmes objets d’études et des mêmes
méthodes d’analyse que dans les universités ?
Dans une logique prospective, l’histoire du
droit a-t-elle encore vocation à être considérée comme une science au service
du droit positif ? N’est-elle pas qu’érudition à l’heure où l’on
s’interroge de plus en plus sur la professionnalisation des formations universitaires
?
II. La politisation de l’histoire du
droit
La volonté de dépassement du champ de l’érudition pure soulève la
question de l’implication de l’histoire du droit en dehors du champ
scientifique. Dès lors cette matière connaît immanquablement une politisation
selon deux canaux principaux. La politisation du discours historique résulte
des filtres interprétatifs employés par l’historien de manière plus ou moins
consciente. Comment et pourquoi cette politisation agit-elle ? Enfin, au
delà de la politisation du discours historique en lui-même, il sera possible
d’évoquer ses utilisations par les politiques. Comment ces derniers
confortent-ils leurs discours en se référant à celui des historiens ?
Contribuent-ils à former une vision de l’histoire juridique à part entière en
tentant de mettre le scientifique au service du politique ?
Les bouleversements politiques et sociaux intervenus en Europe entre le xve et le xxe siècle raniment la
nécessité de faire sortir l’histoire du droit du champ de l’érudition pure.
L’idée qui avait animé des juristes tels qu’Eusèbe de Laurière au xviie siècle est remise au
goût du jour au lendemain du bouleversement de la Révolution française et des
codifications. Les travaux de Savigny en Allemagne ou encore ceux de Klimrath
en France témoignent ainsi, de manières différentes, de la volonté de mettre
l’histoire au service du droit positif. Dans un contexte d’exacerbation des
sentiments nationaux et des nationalismes, cette démarche consiste finalement à
effectuer une politisation de l’histoire du droit, mobilisée pour rendre
évidente la cohésion d’un peuple, voire pour en faire le porteur d’une culture
juridique indépendante, parfois même qualifiée de supérieure. C’est ainsi, pour
fonder l’indépendance de la Common Law,
que Maitland s’attache à démontrer son absence de filiation latine. Comment les
travaux des historiens du droit sont-ils susceptibles d’apporter leur soutien à
un projet politique, mais aussi quel emploi de l’histoire du droit les
politiques peuvent-ils faire dans le but de justifier leurs actions?
Les évolutions politiques du xxe
siècle, à travers la radicalisation des régimes qui revêtent un particularisme
idéologique dépassant le simple clivage de la nationalité, de même que la
décolonisation ou les prémices de la construction européenne prolongent et
déclinent les problématiques émergées au fil des siècles qui précèdent. Quelle
est la place de l’histoire du droit dans ces évolutions ? Y joue-t-elle un
rôle moteur, en participant notamment à l’élaboration de mythes spécifiques ou
n’est-elle qu’un outil permettant au régime de modeler les consciences des
juristes ?
Ces deux axes ne doivent toutefois pas limiter les jeunes chercheurs dans
leurs réflexions. Toute question
concernant les rapports entre histoire du droit et politique à l’époque moderne
et contemporaine qui n’aurait pas été soulevée dans cet appel à communication
est bien entendu la bienvenue. Organisé par les jeunes chercheurs du Centre
Aquitain d’Histoire du Droit, ce colloque international se tiendra à Bordeaux
les 15 et 16 octobre 2015. Les interventions des participants feront l’objet
d’une publication. L’anglais et le français sont permis. Sont invités à
communiquer les jeunes chercheurs, doctorants ou docteurs non encore en poste,
français comme étrangers. Les dossiers de candidature sont à envoyer au Comité
de sélection le 15 février 2015 au plus tard. Ce dossier sera composé d’un
résumé de leur projet de 3500 signes maximum, rédigé en anglais ou en français
ainsi que d’un CV. Ces dossiers sont à joindre à l’adresse suivante : colloquecahd@gmail.com.
International conference
organised by Centre Aquitain d’Histoire du Droit
The History of Law,
between science and politic
The history of « history
of law » is at the junction of several disciplines. It raises also the
question of the legitimacy of a legal « science ». Since Ancient
Rome, lawyers strive to find a scientific method able to legitimate the
enactment of legal norms but the term « science » is still subject to
the critic because of the
« imperfections and incertitudes » of the legal method. These critics
were more intense at the end of the XIXth century when economy,
sociology, psychology or political science invested the human sciences.
This concurrent
discipline makes the legal science controversial and lawyers seem to find in
history the necessary renewal of this science. However, according to F.
Rouviere’s definition, the modern sense of science needed to be characterized
by a singular object and method. It can be defined as an autonomous field of
study and an irreducible knowledge process to another field of knowledge.
Indeed, the term « science » implies sufficient degree of unity of
knowledge and research. This overview brings science to elaborate concordant
results, not based on arbitrary conventions nor taste or common individual
interests but on objectives relations confirmed by defined methods of
verification.
The historical approach
has long been used as a scientific method to justify positive law and
« history of law » was reduced to its function of auxiliary science
by the lawyers. Indeed, the discipline has been used to serve nationalism by
using it to reinforce concurrent legal models in Europe. Thus, how can we
consider the history of law as a science when it has been used to support
political projects?
This international
conference will focus on the scientificity of history of law. It has the
ambition to question the different scientific methods used by the historians of
law and proposes to discuss this political uses for the legitimacy of the
discipline. These argumentative elements about scientificity and politicization
are simple invitations to submit different subjects interesting this theme.
I/ The question of history
of law as a science
The
question of the method is the gaming of the constitution of any science. It is
also the case of History of Law. Many debates about the scientific properties
of this subject and the impact that it owes credit shook the academic
environment. These elements ask the essence of this object of study, its
teaching and about the opportunity of its method of analysis.
In
France, the scientific conception of the historic approach seems to validate
the recognition of a disciplinary field at the end of the XIXth century. The importance of the history of law as an independent
subject is dedicated at the same time by its teaching and its teachers whose
basis are strengthened by the aggregation in spite of the oppositions which the
latter arouses. Yet, does this specialization risk generating the isolation of
this new teaching staff? Who justifies the existence of this subject? As a
matter of fact, did we need the History of Law? Have privatists or advertising
agents not vocation to make the History of their own discipline? Beyond the
French example, what place do we grant to history of law in other countries?
Did this discipline know a wide distribution in Europe during the XXth century?
Were there communications and debates between the European professors?
Besides, the constitution of a subject contains inevitably a political
object. In the more particular frame of the constitution of the history law, is
it a question of legitimizing a national approach when the nationalism is
rising up? What about the States under foreign domination? Do they make their
own history of law or the one of the dominant?
When the
historical approach was legitimized in universities, how is it used as tools
for the positive law? Does it allow a critical approach like the comparative
law? Is comparatism a cure fore the isolation, or a justification for the
behaviour of the nationalists? Is history of law used in other teachings which
study the same object, like history, sociology, ethnology?
Finally, where is it taught, and why? Indeed the legal object is used
outside the legal program, as in the “Collège de France” or in the “Ecole
nationale des chartes”. Is it more useful outside Law University than inside?
Is it the same object of study and the same method of analysis than in
University? Can history of Law be seen again as a science for positive law?
Isn’t it just erudition when we are asking ourselves more and more about the
professional aspect of University training?
II/ The giving of
political aspect for history of law
The will
to pass beyond the strict scientific field asks the question of the implication
of History of law out of it. Considering that, this subject takes a political
aspect by almost two principal ways. This property of the historical talk is
produced by the historian’s work of interpretation, which may be conscious or
not. Why and how do these political aspects interact? Otherwise, despite of
this political coloration of the historical talk, it will be possible to
approach it using the politics. How do they build their speeches and their
policies by reference to the historical works? Do they create a particular
approach of juridical history by using the scientific work?
The
political and social overthrows in Europe between the XVth and the XXth century
ask the necessity for the history of law to come across the pure erudition.
That wish is present in the works of Eusèbe de Laurière at the XVIIth century
and some authors after the overturning of the French Revolution. Savigny’s and
Klimrath’s work show, in different ways the will to use history of law for the
needs of positive law. When the national consciousness and the nationalisms are
growing, history of law can be used to justify the existence of people, maybe
to build an independent juridical culture, or even superior. Maitland is an
example of this approach, when he shows the independence of Common law from
Roman law. How does the work of historians of law can be used to justify a
political project or the politics’ actions?
The
political changes of the 20th century, through the radicalization of the
regimen which don an ideological particularism going beyond the sole cleavage
of nationality, just as the decolonisation or the premises of the European
building process, lengthen or ebb the issues which emerged during the preceding
centuries. According to those permanent progresses, does History of law play a
driving role, especially by taking part to specific myths, or is the
subject just a means used by the political systems to fashion lawyer's
awareness?
Thus, two types of
presentations are solicited but there is no limit on the themes and questions
that might be considered as far as history of law and modern politics are
concerned. This International Symposium organized by the Centre Aquitain
d’Histoire du Droit Junior Researchers will take place in Bordeaux, October 15th-16th
2015. Only PhD student and PhD in History of Law proposals are expected. Papers will be published. Proposals for
papers (maximum 3 500 characters, in English or French) should be
accompanied by the author’s curriculum vitae and sent to the organizing
Committee before February 15th 2015 : colloquecahd@gmail.com
[1] P. AMSELEK, « La part
de la science dans les activités des juristes ». D. 1997, chr., p. 339.
[2] F. ROUVIERE, « La
vulnérabilité de la science du droit : histoire d’une science sans méthode »
in Le droit à l’épreuve de la
vulnérabilité, Bruylant, pp. 537 et s., 2011.
[3] A.
LALANDE, Vocabulaire technique et critique de
la philosophie (1926), PUF, 2e
édition « Quadrige », 2006.
URL CAHD: http://www.cahd-bordeaux.com