Information transmise par Fl. Renucci:
Mission de Recherche Droit et Justice
Nouvel appel à Projets
L’évolution des métiers de la justice en France et en Europe
- Date limite d’envoi des projets: 7 septembre 2015
- Durée maximum de la recherche: 24 mois
- Projets à faire parvenir en: 15 exemplaires
Dépôt dans les locaux de la Mission de
recherche :
(avant 16 heures)
Mission de Recherche Droit et Justice
2, rue des Cévennes – Bureau C100
75015 Paris
ou
Envoi postal : (cachet
de la poste faisant foi)
Mission de Recherche Droit et Justice
Ministère de la Justice – Site Michelet
13 place Vendôme – 75042 Paris cedex 01
Contacts :
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Télécopie : 01 44 77 66 70
Courriel : mission@gip-recherche-justice.fr
Site internet : www.gip-recherche-justice.fr
APPEL À projets
« L’évolution
des métiers de la justice en France et en Europe »
Les textes qui
suivent sont des guides de réflexion pour ceux qui, quelle que soit leur
discipline, ont l’intention de répondre aux appels à projets. Ils présentent
les orientations prioritaires de recherche retenues pour ces thèmes, dans le
cadre desquelles une large part d’initiative est laissée aux chercheurs.
Deux
documents, à télécharger depuis le site de la Mission
(www.gip-recherche-justice.fr/spip.php?article1214)
:
- une note
rappelant les modalités de soumission
des projets
- une fiche de renseignements administratifs et
financiers dûment complétée
doivent
nécessairement accompagner toute réponse à ces appels à projets.
« L’évolution
des métiers de la justice en France et en Europe »
La définition des métiers de la justice
est une question posée de manière récurrente depuis une vingtaine d’années[1] en
raison des transformations de l’institution, qui les met sous tension. Au
sens du présent appel à projet, le terme « métier » désigne les missions revenant aux
différents acteurs de la communauté judiciaire et les conditions d’exercice de
leurs fonctions[2]. Cette définition coïncide
avec le concept de profession défendu par les sociologues interactionnistes qui
ont unifié les concepts de « profession » et de « métier »[3]. Ainsi
circonscrits, les métiers de la justice, déjà distingués par des statuts différents,
devraient pouvoir se définir aisément par leurs fonctions. C’est là que les
transformations vécues par la justice ces dernières décennies compliquent
considérablement la question.
En premier lieu, les nouveaux objectifs et contraintes assignés au service
public de la justice peuvent être appréhendés sous différents aspects :
les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme (procès
équitable, délais raisonnables, etc.) ; la rationalisation des moyens
employés dans un contexte de rigueur ; la poursuite d’un objectif
d’efficacité en lien avec la révolution numérique ; la place grandissante
accordées aux droits des usagers, victimes et justiciables ;
l’introduction d’une logique managériale au sein des juridictions. Ces mutations
consécutives à l’évolution de la société, à l’apparition de nouvelles
technologies et à l’influence européenne, constituent autant de facteurs de
changement pour la justice, qui ont des conséquences importantes sur ses
métiers.
À ce stade, il paraîtrait logique qu’une transformation de la justice
s’accompagne d’une transformation de ses métiers, à l’instar de la redéfinition
de la carte judiciaire. Cependant, l’évolution des métiers de la justice ne
s’opère pas au même rythme que celle de leurs tâches. La répercussion des
changements sur les personnes chargées de les mettre en œuvre à toutes les
étapes du processus judiciaire, peut ainsi générer un malaise professionnel
quel que soit le statut applicable, magistrat ou fonctionnaire. Il y a
vingt-cinq ans, constat était fait que la manière dont les juges se
représentent leurs fonctions correspondait de moins en moins à ce qu’ils font
effectivement[4]. Un quart de siècle plus
tard, ce constat reste d’actualité. Les juges ont une grande conscience de leur
office mais la confusion règne quant à son contenu et à son périmètre[5]. Plus
encore, ce phénomène d’évolution importante d’un travail dont les nouvelles formes ne
sont pas toutes reconnues s’est
généralisé à l’ensemble des métiers de la justice.
Les métiers de la justice sont contraints à évoluer pour s’adapter à de
nouvelles injonctions, dont certaines peuvent se révéler parfois
contradictoires. Ainsi en est-il de l’exigence de spécialisation, énoncée en
même temps que celles de diversification et de polyvalence des tâches, des
fonctions et des personnes. Malmenées par la nécessité d’intégrer sans répit de
nouvelles attributions, les frontières entre métiers deviennent incertaines.
Les rôles (juger, administrer, contrôler…) se confondent parfois. Les missions
autrefois au cœur d’une fonction (comme celles de protection des libertés
individuelles pour les magistrats du parquet) sont partiellement redistribuées
à une autre (en l’espèce au juge des libertés et de la détention). Cette
mouvance de la part prise par chacun dans l’accomplissement d’un idéal de
justice crée une crise d’identité professionnelle que l’on observe à tous les
degrés de la chaîne des métiers (magistrats du parquet, greffiers, surveillants
pénitentiaires…)
Cette distorsion entre la perception par chacun de son rôle et la
réalité de ses fonctions rend ainsi nécessaire leur clarification. Selon Howard
S. Becker, « l’autonomie » est l’enjeu principal de toute discussion
concernant le professionnalisme : les membres d’une profession sont reconnus
comme les seuls dont les connaissances et l’expérience permettent de décider ce
qu’il faut faire dans une situation donnée et d’estimer si ce qui a été fait a
été bien fait[6]. La recherche d’une
autonomie des métiers de la Justice passe alors par une redéfinition de leurs
frontières. A cette fin, décloisonner les tâches pour déterminer l’exclusivité
de celles accomplies par tel métier, pour distinguer celles qui se partagent de
celles qui ne se délèguent pas, pour identifier le « cœur », la
« mission naturelle »[7] de tel
métier, serait un préalable utile.
Chercher à situer les frontières peut également mener à créer des
catégories et à qualifier les fonctions selon les tâches à accomplir. Quelle
est la géométrie des périmètres professionnels au sein d’une juridiction ou d’un
service ? Comment se répartissent fonctions d’administration et fonctions
juridictionnelles ? Quelle est la proportion dévolue à tel métier ou à tel
autre ? Une entreprise de clarification des attributions de chacun
pourrait s’envisager, qui permettrait ensuite de s’interroger sur la
faisabilité du travail au regard de la multiplicité des contraintes.
L’évolution des frontières entre métiers implique également celle de la
représentation, par les acteurs du monde judiciaire, de leurs fonctions par
rapport à la réalité de celles-ci. Cela conduit à se positionner à l’égard de
son propre métier, mais également à l’égard des autres pour se répartir le
travail de manière complémentaire. Peut-on faire émerger une nouvelle identité
professionnelle de ces nouveaux positionnements ? Comment s’organiser
ensemble ? Quelles doivent également être les relations avec les
partenaires extérieurs au monde de la Justice ?
A l’aune d’une redistribution des rôles et des fonctions, il
conviendrait également de réfléchir à la conduite des carrières et aux statuts
des personnels de la justice, magistrats et fonctionnaires de la protection
judiciaire de la jeunesse et de l’administration pénitentiaire, comme des
services judiciaires. Comment évoluer au sein de son métier ? Comment
valoriser, le cas échéant, un nouveau statut ? Quels enseignements tirer
de l’histoire des statuts judiciaires pour envisager leur évolution
future ?
L’objectif de cet appel à projet
est donc double. D’une part, il s’agit d’étudier les effets des transformations
du service public de la justice sur les
missions et les fonctions de ses différents acteurs. D’autre part, il s’agit d’identifier
les pistes d’amélioration de
leurs conditions d’exercice professionnel, notamment dans le contexte des
technologies numériques, et les pistes d’évolution de leurs statuts.
Ces pistes permettront d’offrir de nouvelles perspectives de carrière, à la
fois attractives et fédératrices d’une identité professionnelle rénovée.
Dans cette tâche de clarification, d’analyse et de prospective,
l’histoire, comme l’étude et l’observation des pratiques en Europe, devraient
apporter un éclairage sur les évolutions possibles des métiers de la justice, à
des stades différents de maturation professionnelle. Une approche
interdisciplinaire (sociologique, juridique, économique, historique, etc.) est
également souhaitable. Elle permettrait de concilier une observation des
métiers de la justice actuellement en transformation, avec une réflexion
prospective sur leur évolution dans la durée et une mise en perspective du
passé.
Pour ce faire, différents métiers
de l’institution judiciaire, choisis
parmi les exemples suivants ou proposés à l’initiative des chercheurs,
peuvent être traités individuellement ou
cumulativement :
1- Le magistrat du parquet
En quelques années, l’image du
ministère public a considérablement évolué et s’est transformée. Cette
évolution est le fruit de l’élargissement considérable de ses pouvoirs dans le
domaine judiciaire, allant de pair avec le développement des modes de
règlements rapides des litiges ou alternatifs aux poursuites. La source de
cette évolution tiendrait à sa qualité de garant des libertés individuelles[8],
conception profondément remise en cause par la jurisprudence Medvedyev qui a
abouti à dénier la qualité d’autorité judiciaire au parquet français en raison
de l’ambiguïté de son statut[9].
Des travaux sociologiques ont mis
en évidence la mutation de l’identité professionnelle du ministère public, dans
un statut pourtant inchangé[10].
Dans ce contexte, la jurisprudence Medvedyev a créé une crise d’identité, que
les magistrats du parquet qualifient eux-mêmes de « malaise devenu
insupportable »[11], et
posé les jalons d’une réforme statutaire qui se cherche encore[12]. La
conception unique en Europe d’un ministère public « composé de magistrats
à part entière tenus aux mêmes règles déontologiques et à la même éthique que
leurs collègues du siège dont ils partagent le serment »[13], et
donc également gardien des libertés individuelles durant la phase d’enquête,
s’inscrit dans une longue histoire. Or, cet héritage constitue un frein à la
requalification du parquet en « partie à la procédure » ou en
« avocat de la poursuite », incitée par la jurisprudence Medvedyev.
Cette difficulté nécessite de mener une réflexion juridique et historique
prospective, avec une forte dimension de droit comparé[14], sur
l’avenir du parquet « à la française ». Comprendre les origines
post-révolutionnaires de cette tradition française d’un ministère public uni au
corps judiciaire par son statut et son office[15],
mais perçu comme dépendant de l’exécutif[16],
permettrait d’en étudier le devenir à l’aune des influences européennes
actuelles et d’envisager des remèdes à cette situation. De manière plus
concrète, l’avenir du ministère public « à la française » passe-t-il
par une autonomisation statutaire ? Sinon comment garantir son
indépendance ? A quel degré de la chaîne judiciaire son rôle devrait-il
s’envisager ? Comment le positionner dans son rôle de garant des libertés
individuelles par rapport aux autres magistrats ? Quelles seraient les
conséquences de son repositionnement en tant que partie à la procédure ?
Comment lui permettre de se situer au sein de l’institution judiciaire ?
La problématique sociologique de son identité professionnelle devrait également
être abordée.
Par ailleurs, la diversification
des tâches dévolues au parquet interroge sur le périmètre de ses missions, au
regard de ce qui peut être délégué à d’autres personnes (par exemple, le
greffier) voire relever de nouveaux métiers (par exemple, celui d’assistant de
justice). Dans la continuité de ces questionnements, une étude comparée de
l’évolution en Europe des métiers du greffe et du magistrat au sein du parquet,
et plus généralement de l’évolution des périmètres des métiers au sein des
juridictions, nourrirait utilement la réflexion.
La diversification des missions
des magistrats du parquet a aussi des conséquences sur l’organisation de leur
travail. En quelques années, la gestion du temps et la hiérarchisation des
tâches (administratives et judiciaires) sont, en effet, devenues une équation
que les magistrats du parquet tentent de résoudre quotidiennement. Quel
pourrait être l’apport des nouvelles technologies de l’information et de la
communication dans ce domaine ? Quels seraient les enseignements à tirer
des expériences étrangères ? Une étude comparée de l’organisation des
parquets serait à cet égard appréciée.
L’évolution du rôle des
magistrats membres du parquet est également la conséquence du développement de
leur fonction de pivot de la justice pénale avec l’extérieur, qui les amène à
s’investir dans les politiques locales de la prévention de la délinquance et
des dispositifs opérationnels de sécurité. Il a été ainsi constaté que ces
nombreux dispositifs territoriaux se superposent[17].
Comment rationaliser l’intervention du ministère public dans ces instances
partenariales ? Selon quelles modalités l’exercer? Avec quelle assistance pour
sa mise en œuvre ? Cependant, cela ne doit pas occulter le fait que
les procureurs de la République refusent de se voir entraîner dans une
conception purement administrative et préfectorale de leur métier[18]. La
question de la part de travail accordée aux tâches juridictionnelles,
quasi-juridictionnelles et administratives, et de leur organisation, devrait
également s’envisager. Plus largement, une réflexion de fond sur ce que doit
être le positionnement du ministère public dans ces instances, et notamment au
regard du rôle du préfet, devrait être menée.
La transformation des missions et
du rôle du magistrat du parquet, que ce soit au cours comme en dehors de la
phase d’enquête, interroge enfin directement les personnes concernées. Comment
ce métier profondément renouvelé est-il perçu par ceux qui le
choisissent ? Quelle place pour la vocation de procureur[19] ?
Quelle stratégie professionnelle ? Quelle dynamique de carrière ?
Quel rôle pourrait jouer l’instauration de parquets spécialisés ?
2- Le juge des libertés et de la détention
(JLD)
Le JLD a été instauré par la loi
n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes. Les règles de sa nomination sont
prévues à l'article 137-1 al. 2 du code de procédure pénale. Depuis quinze ans,
ses attributions ont augmenté de manière
exponentielle, notamment dans le domaine des hospitalisations d’office[20]. On
attend de lui une polyvalence de plus en plus importante. La diversité de ses
tâches gagnerait donc à être recensée en lien avec la pratique, dans la
continuité de ce qui a été fait sur le plan académique[21], dans
un objectif de clarification et de mise en cohérence pour l’avenir. En effet,
comment remplir sa mission de gardien des libertés individuelles en intervenant
dans des domaines si hétérogènes ? Qu’est-ce qui fait l’unité de sa
mission ? Quelle évolution de ses fonctions judiciaires dans le futur ?
Face au constat de l’élargissement continu de ses attributions, la
question du cœur, des limites, du positionnement et de l’organisation
matérielle de cette fonction devrait particulièrement être posée. Pour y
répondre, la recherche devrait s’appuyer sur un travail pluridisciplinaire
d’observation et d’enquête sur le terrain. Un éclairage des pratiques
étrangères serait également souhaitable[22]. Qu’est
ce qui rend l’intervention du JLD pertinente et où s’arrête-t-elle ? Quelle
est la place de ce juge dans la juridiction ? Quel est l’impact du développement de cette fonction sur
l’organisation des tribunaux ? Quelles
sont les conditions matérielles de l’exercice de sa mission ?
Plus spécifiquement, la réflexion engagée sur l’évolution du JLD
pourrait dresser une cartographie des rapports entre ce juge et celui de
l’instruction, avec une vision prospective qui serait appréciée. Cette
délimitation des domaines de chacun pourrait être tracée de la même manière pour
les interventions du JLD et du magistrat du parquet, dans le cadre de la
procédure d’enquête. L’objectif serait d’identifier des frontières claires aux
fins d’éviter la confusion des rôles. Il s’agirait de déterminer le cœur de
métier de chacun, c’est-à-dire les tâches dont ils auraient le monopole, et de
les distinguer des tâches qui pourraient se répartir entre eux ou être
attribuées à d’autres. Plus généralement, quelles sont les interactions
du JLD avec ses autres collègues magistrats ou avec d’autres acteurs (police,
avocats, greffe…) ? Quelles
sont ses relations avec le parquet et le juge d’instruction lors de la mise en
œuvre de ses missions ? Quel est le positionnement professionnel de chacun
par rapport à l’autre ? Quelles sont les évolutions possibles compte tenu
des débats en cours sur le maintien ou non du juge d’instruction et sur la
création d’un juge de l’enquête[23] ?
Enfin, l’évolution des missions du JLD, la grande diversité de ses
fonctions qu’il s’agisse du contentieux judiciaire ou administratif, et son
rôle croissant en matière de protection des libertés publiques[24],
interrogent directement sur sa professionnalisation[25]. Son
importance toujours plus grande appelle en effet un statut qui garantisse son
indépendance et son autonomie professionnelle[26]. Dans
cette perspective de spécialisation et à l’aune d’une observation de la
pratique, quelles méthodes et quelle formation suivre ? Une meilleure
connaissance de la fonction permettrait également de s’interroger sur la
possible émergence d’une identité professionnelle qui lui serait propre.
Quelles seraient les motivations pour choisir cette spécialisation ?
Quelles seraient les possibilités de carrière ?
3-
Le greffier
Une dizaine d'années après un
rapport d'information du Sénat consacré à l’évolution des métiers de la justice[27], le
métier de greffier des services judiciaires n'a fait, en France, l'objet
d'aucun travail de recherche récent[28]. Ce
sont néanmoins 9 400 greffiers[29] qui
sont mobilisés quotidiennement pour accueillir et faciliter les démarches des
citoyens dans les juridictions, ainsi que pour assister les magistrats.
Si depuis la fonctionnarisation
des greffes en 1965[30], les
greffiers se réclament des valeurs générales du service public, ils ne
revendiquent pas moins la spécificité historique de leur métier qui consiste à
assurer le bon déroulement de la procédure judiciaire et à authentifier les
actes des magistrats – par leur retranscription à l'époque où la justice était
orale, ce qui a donné au greffier son nom (de graphein, « écrire » en
grec), et aujourd’hui jusqu’à leur présence à l’audience, sous peine de
nullité. Ces garanties de sécurité juridique sont, avec la mission d'accueil et
d'orientation des justiciables, expressément énumérées dans leur statut
particulier[31].
Quant aux fonctions administratives, que le greffier peut occasionnellement
remplir, elles sont aujourd’hui principalement assurées par les greffiers en
chef et par les secrétaires administratifs placés sous leur responsabilité.
Pour autant, ces missions spécifiques
ne caractérisent pas suffisamment un métier si particulier, qui destine à faire
le lien à la fois entre les magistrats, les justiciables et les avocats, et à
garantir une procédure décisive pour le respect effectif des principes
du procès équitable. Comment les greffiers vivent-ils leur positionnement à la
croisée des fonctions et des corps de l'institution judiciaire ? Quels sont les
équilibres dont dépendent leur identité et leur reconnaissance professionnelle
et sociale ? D'un point de vue dynamique, à un moment où la justice bénéficie
d'un effort exceptionnel du budget de l'Etat et ambitionne de gagner tant en
qualité qu'en efficacité, il y a lieu de s'interroger en outre sur les
dispositions au changement de ce métier traditionnel. Quelle sont les évolutions
qu'il a déjà connues, avec quels succès, quels freins et quelles
ressources pour demain ?
« Technicien de la
procédure », le greffier est également devenu le principal acteur de
l'accès à la justice : au nom de son expertise, il assure l'accueil,
l'information et l'orientation des justiciables dans les guichets uniques de
greffe. Ce sont des greffiers qui, en principe, animent les maisons de la
justice et du droit destinées à accueillir les personnes les plus éloignées de
l’institution judiciaire. Ce sont encore eux qui instruisent les demandes
d'aide juridictionnelle puis déclenchent le paiement des avocats à ce titre.
Comment, à chaque fois, le dialogue se noue-t-il entre ces juristes et un
public parfois démuni, voire relégué à la périphérie des grandes agglomérations
? Comment les greffiers vivent-ils ce rôle qui n'est certes pas nouveau mais
néanmoins très différent de la pratique de la procédure en lien avec les autres
professionnels du droit ? Y sont-ils préparés ? Sont-ils disposés à
s'investir davantage dans cette direction qui semble éloigner certains d’entre
eux d'une plus étroite collaboration avec les magistrats ?
Les récents rapports sur
l'amélioration du système judiciaire français appellent par ailleurs à un
renforcement de l’assistance classique du greffier auprès du magistrat, au
parquet comme au siège. Se profile ainsi la figure du greffier-rédacteur, qui
ne se borne pas à garantir l'authenticité des jugements, mais recherche la
jurisprudence applicable et prépare jusqu'à leur rédaction. Il peut encore
s'agir de développer le rôle du greffe jusqu'au suivi de l’exécution des
décisions de justice, pour lequel de nouveaux « services de l'exécution » sont
imaginés, y compris en matière civile[32]. Le
métier de greffier offre-t-il, dans ses composantes actuelles, les
potentialités nécessaires à de telles évolutions ? Comment la perspective d’un
« travail en équipe » est-elle accueillie en juridiction ? Le métier de greffier pourrait enfin évoluer
dans le cadre d'une « dé-juridictionnalisation »,
en particulier sur le modèle germanique du Rechtspfleger prôné par
l’association européenne des greffiers[33]. Un
tel projet de « greffier juridictionnel »[34]
est-il en rupture ou en continuité avec les fondamentaux du métier de greffier
? Les greffiers risquent-ils à leur tour d’être remplacés comme cela a en
partie déjà été fait en matière de PACS ? Où se situent les seuils déterminant
de façon optimale la place de chacun ? Faut-il, notamment, créer un corps
intermédiaire entre greffier en chef et greffiers ?
Les greffiers sont enfin
directement concernés par la modernisation managériale et technologique des
juridictions. Il a déjà été dit que l’autorité du juge se trouvait affectée par
ces évolutions qui, en introduisant la notion de process empruntée à la production, non seulement accroissent la
pression productiviste mais aussi touchent à la temporalité particulière ainsi
qu’au sens de la procédure et du procès, à l’« office processuel » du
juge[35].
Qu’en est-il du rôle du greffier, qui est son plus proche collaborateur et qui
doit garantir l’efficacité et l’équité de la procédure ? Le greffier est en
effet appelé à devoir traiter un nombre de demandes qui s’accroîtra avec la
possibilité de consulter les juridictions par internet. Y a-t-il là un risque
de dépersonnalisation de la relation au justiciable ? Quelles sont les
enseignements de la juridiction administrative qui s’est déjà dotée d’un
système de télé-procédures ? Comment le greffier-rédacteur
s’accommodera-t-il de futurs modèles de jugement pré-remplis ?
L’ensemble, non exhaustif, de ces
interrogations mérite un traitement pluridisciplinaire mobilisant aussi bien
l'expertise des juristes et des historiens de la justice que celle de la
sociologie des professions et des organisations. Une approche comparatiste avec
les systèmes judiciaires voisins du nôtre et avec la justice administrative
serait très utile.
4-
Le
surveillant pénitentiaire
Fort de 25 578 agents sur
35 863 au 1er janvier 2014 le personnel de surveillance est de
loin le plus nombreux au sein de l’administration pénitentiaire. Il se compose
principalement d’un corps de catégorie C, aux fonctions d’exécution
(surveillants) ou d’encadrement de petites équipes (brigadiers, premiers
surveillants et majors). Qu'il s'agisse des surveillants d’étage ou de la
hiérarchie intermédiaire, également présente dans les coursives, les
surveillants sont au cœur de la relation carcérale.
Eu égard à cette situation
spécifique, un statut spécial, dérogatoire du droit commun de la fonction
publique de l'Etat, fixe principalement depuis 1966 les missions, les
obligations et les droits particuliers des surveillants pénitentiaires. Le
droit de grève est notamment interdit, tandis qu’en contrepartie de ces
sujétions le régime indiciaire et indemnitaire du corps est aligné sur celui de
la police nationale. En la reconnaissant « force de sécurité
intérieure »[36], aux
côtés des forces de police et de gendarmerie, la loi a poursuivi ce
rapprochement et la revalorisation de cette profession encore couramment
désignée sous le nom, officiellement abandonné dès 1919 mais encore très
évocateur dans l’imaginaire collectif, de « gardiens de prison »[37].
Il n'en demeure pas moins que les
surveillants restent chargés d’une mission très générale de garde et de
surveillance des personnes détenues. Dès lors, leurs tâches se caractérisent
par une grande indétermination. En pratique, l'adaptation est la principale
compétence requise des surveillants pour exécuter les ordres comme d'ailleurs,
ainsi que l’ont montré les premières recherches sur le sujet, pour parfois
s'écarter des règles afin d'obtenir un modus
vivendi dans la relation fragile et souvent tendue avec les détenus. Un des
corollaires de cette « instrumentalité fonctionnelle » est l'absence
de vocation chez les surveillants, qui choisissent très majoritairement ce
métier par défaut[38].
Comment le corps des surveillants pénitentiaires peut-il dès lors être défini
par l'exercice déterminé et partagé d'un « métier » et répondre aux
attentes toujours croissantes, précises et complexes, dont il fait
l'objet ? Réciproquement, comment valoriser le travail des surveillants et
limiter le turn-over qui compromet la
construction de véritables équipes et de la relation humaine avec les détenus ?
Le corps des surveillants
pénitentiaires a en effet vu sa mission de garde s'élargir considérablement à
mesure que la jurisprudence puis la loi ont reconnu davantage de droits aux
personnes détenues, et que l'administration pénitentiaire s'est modernisée en
s'appropriant les règles pénitentiaires européennes (RPE), non contraignantes
juridiquement mais appliquées dans le cadre inédit d’une « démarche
qualité ». Il semble ainsi qu'en fonction des droits reconnus aux détenus,
le travail des surveillants connaisse à la fois une sectorisation croissante
(surveillant UVF, PSE, agent du greffe pénitentiaire…) et une ouverture
(commission pluridisciplinaire unique), qui interroge l'unité, perdue ou à
venir, de leur métier. Comment les autres Etats membres du Conseil de l’Europe
se sont-ils appropriés les RPE et avec quelle incidence, chez eux, sur le
métier de surveillant ? De même, la réaffirmation constante de l'objectif
de sécurité partage elle aussi le métier de surveillant entre spécialisation (renforcement
du renseignement pénitentiaire, projet de ressources humaines dédiées aux
maisons centrales, affectation en SPIP, agent d’extractions judiciaires...) et
polyvalence (la pluridisciplinarité étant mobilisée pour une sécurité
« dynamique »). Comment cet « empowerment
» progressif des surveillants, corrélat de leurs nouvelles responsabilités,
s'articule-t-il avec la structure hiérarchique de l'administration
pénitentiaire ? Comment ces problématiques se déclinent-elles selon les
catégories d'établissements, leur taille, leur architecture et la succession
des différents services des surveillants dans le temps ?
Par ailleurs, outre la
coopération régulière avec les conseillers pénitentiaires d'insertion et de
probation, une politique de décloisonnement, a été engagée dans les années
1980-1990 avec les ministères de la Culture, de l’Education nationale et de la
Santé. Plus de 4 000 fonctionnaires de ministères différents de celui de la
Justice travaillent ainsi chaque semaine en détention. La montée en puissance
de la gestion déléguée depuis 1987 contribue, de surcroît, à démultiplier le
nombre d’intervenants en prison. Quelle est la plus-value des surveillants
pénitentiaires face à ces intervenants spécialisés ? Comment s'y
adaptent-ils, avec leurs obligations déontologiques renforcées ? Comment
valoriser les compétences qu'il leur faut dès lors déployer ? Quelles sont les
enseignements des Etats comparables à la France pour l’accompagnement de tels
changements ?
Enfin, la notion de
« service public pénitentiaire » introduite de façon purement
pragmatique, en 1987, pour donner un cadre juridique à l'arrivée des
prestataires privés en détention, puis consacrée par la loi du 24 novembre
2009, implique désormais une modernisation du service rendu et la
responsabilisation de l’administration vis-à-vis de ses usagers même
« contraints ». L'introduction des technologies de l'information,
logiciels de recueil et de traitement de données ou nouveau dispositifs
électroniques de sécurité, nécessitent en effet des formations très spécifiques
pour les surveillants et peuvent être perçues à la fois comme une
déshumanisation et comme une perte de pouvoir[39].
S’agissant de la responsabilité envers les personnes détenues, les surveillants
se trouvent en première ligne de la protection des plus vulnérables (prévention
du suicide, observations, prévention des violences…) Quel est l'impact de ces
prises en charge, aux limites du care,
sur des pratiques et une identité professionnelle historiquement construites
pour sanctionner les transgressions[40]? La
nouvelle architecture des prisons emporte enfin des conséquences sur les
conditions de travail des surveillants, également « en détention », qu'il
serait intéressant d’étudier.
Sur ces derniers aspects du
sujet, une approche comparatiste serait encore particulièrement instructive.
Une attention particulière méritera en outre d'être constamment portée à la
place des premiers surveillants et majors, ces « hommes au milieu »[41], dont
le rôle indéterminé interroge d'autant plus qu'ils se trouvent en position de
responsabilité hiérarchique vis-à-vis du reste des surveillants :
définition des attentes de l’institution, notamment en matière
d’encadrement ; travail d’ajustement et de mise en cohérence des règles
prescrites au regard du contexte ; travail de relation avec les personnes
détenues, dans un difficile équilibre entre proximité et distanciation ;
perspectives d’évolution, etc.
[1]
Voir Dominique Le Vert (dir.), Rapport
sur la situation des fonctionnaires des services judiciaires, novembre
1990 ; Hubert Haenel et Jean Hartuis (dir.), Rapport de la commission de contrôle du Sénat chargée d'examiner les
modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des services
relevant de l’autorité judiciaire, juin 1991 ; Christian Cointat
(dir.), Quels métiers pour quelle
justice ? Rapport d’information au Sénat fait au nom de la commission
des Lois par la mission d’information sur l’évolution des métiers de la
justice, Juillet 2002 ; Florence Audier, Maya Beauvallet, Eric-Guy
Mathias, Jean-Luc Outin, Muriel Tabaries, Le
métier de procureur de la République ou le paradoxe du parquetier moderne,
Centre d’économie de la Sorbonne (CNRS/Université Panthéon-Sorbonne), GIP
Mission de recherche Droit et Justice, 2008 (disponible sur le site du
GIP) ; Philip Milburn, Katia Kostulski, Denis Salas, Les procureurs, entre vocation judiciaire et fonctions politiques,
coll. Droit et Justice, PUF, 2010 ; Soraya Amrani-Mekki, Déjudiciarisation
et évolution des professions juridiques, in O. Boskovic (dir.), La déjudiciarisation, éd. Mare et
Martin, 2013, p.183.
[2]
Définition retenue par Christian Cointat (préc.)
[3]
Florent Champy, La sociologie des professions,
PUF, 2009, p.4.
[4]
Antoine Garapon, La question du juge, in Les Juges, Revue Pouvoirs n°74, 1995, p.13.
[5]
Antoine Garapon, Sylvie Perdriolle, Boris Bernabé et Charles Kadri, La Prudence et l’Autorité : l’office du
juge au XXIe siècle, Rapport de l’IHJ à la garde des Sceaux sur l’évolution
de l’office du juge et son périmètre d’intervention, mai 2013, p. 17.
[6]
Howard S. Becker, Préface, in D. Demazière et C. Gadea (dir.), Sociologie des groupes professionnels,
Acquis récents et nouveaux défis, ed. La Découverte, 2009.
[7]
Christian Cointat (préc.)
[8]
Philip Milburn, Katia Kostulski, Denis Salas, Les procureurs, entre vocation judiciaire et fonctions politiques,
coll. Droit et Justice, PUF, 2010.
[9]
CEDH Grande Chambre, n°3394/03, 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, § 124) ; v. également CEDH n°37104/06, 23 février 2011, Moulin c/ France § 57.
[10]
Philip Milburn et al.(préc.)
[11]
Jean-Louis Nadal Refonder le Ministère
public, Rapport à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, Novembre
2013, p. 3.
[12] Voir Jacques Beaume, Rapport sur la procédure pénale, Juillet 2014, p.5.
[13] Discours prononcé par M. Jean-Claude Marin, procureur
général près la Cour de cassation, le 18 janvier 2013
(https://www.courdecassation.fr/IMG///discours_PG_20140109.pdf).
[14]
Voir par exemple : Akila
Taleb, Quelles perspectives
d’évolution pour le parquet français ? Étude des systèmes français et
anglais à la lumière de la jurisprudence européenne (à propos de l’arrêt CEDH,
23 nov. 2010, Moulin c/ France), RID. pén. Janvier 2011, vol. 82,
p. 243.
[15]
Pour la période de l’ancien régime et la période révolutionnaire, cf.
Jean-Marie Carbasse, Histoire du parquet,
coll. Droit et Justice, PUF, 2000.
[16]
Cette instrumentalisation politique du ministère public serait pourtant très
relative depuis les origines. A cet égard, voir Jean-Paul Royer, Histoire de la Justice en France, PUF, 3e
éd., 2010.
[17]
En ce sens, cf. Jean-Louis Nadal (préc.)
[18]
Robert Gelli, Le Ministère public en France, in S. Guinchard et J. Buisson
(dir.), Les transformations de la justice
pénale, Dalloz, 2014, p. 121.
[19]
Voir Philip Milburn et al., Les
procureurs, entre vocation judiciaire et fonctions politiques (préc.)
[20] Décret n° 2014-897 du 15 août 2014
modifiant la procédure judiciaire de mainlevée et de contrôle des mesures de
soins psychiatriques sans consentement.
[21]
Voir la thèse de Pauline Le Monnier de Gouville, Le juge des libertés et de la détention, entre présent et avenir,
Thèse Paris II, 2011, p. 219 et s.
[22]
Pour une appréciation de l’institution à la lumière du droit comparé, cf.
Pauline Le Monnier de Gouville, op. cit.,
p. 557 et s.
[23]
Sur ce point, cf. Pauline Le Monnier de Gouville, op. cit., p.666 et s.
[24]
Pour Jacques Beaume, le juge des libertés et de la
détention, gardien naturel « de second niveau » de la liberté individuelle ou
de la vie privée susceptibles d’être compromises par une enquête, ne devrait
intervenir « que » pour garantir la légalité et la proportionnalité de l’investigation
attentatoire a la liberté ou à la vie privée (in Rapport sur la procédure pénale, Juillet 2014, p.32).
[25]
Cf. Pauline Le Monnier de Gouville, op.
cit. p. 445 et s.
[26]
En ce sens, Jacques Beaume, op. cit.,
p. 33.
[27]
Christian Cointat (dir.), Quels métiers
pour quelle justice ? Rapport d’information au Sénat fait au nom de la
commission des Lois par la mission d’information sur l’évolution des métiers de
la justice, 2002.
[28]
F. Darty, C. Froissart, F. Ménard, La professionnalité des greffiers,
Recherche soutenue par la Mission de recherche Droit et Justice, La
documentation française, 1997. R. Bossis, La
question de la professionnalisation du corps des greffiers,
CESDIP-Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2003.
[29]
Sur environ 22 000 fonctionnaires des services judiciaires, dont les greffiers
en chef, un nombre croissant de secrétaires administratifs et les autres
personnels de greffe (respectivement de catégories A, B et C).
[30]
Loi n°65-1002 du 30 novembre 1965.
[31]
Article 2 du décret n°2003-466 du 30 mai 2003
[32]
Serge Guinchard (dir.), L’Ambition
raisonnée d’une justice apaisée : rapport au garde des Sceaux, Paris,
La Documentation Française, 2008. Voir
également Didier Marshall (dir.), Les juridictions du 21ème siècle,
Rapport remis à Mme la garde des Sceaux, ministre de la Justice, 2013.
[33] Union européenne des greffiers, Livre vert «
Pour un greffier européen », 2008.
[34] Pierre Delmas-Goyon, Rapport à Mme le garde des Sceaux,
Le juge du XXIème siècle, un citoyen acteur, une équipe de justice, 2013.
[35] Antoine Garapon, Sylvie Perdriolle, Boris Bernabé, La
Prudence et l'Autorité, juges et procureur du XXIème siècle, Odile Jacob,
2014.
[36]
Loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009, dite « loi pénitentiaire ».
[37] Marcel Pochard, Les
gardiens de prison, Revue Pouvoirs, n°135, 2010.
[38] Georges Benguigi, Le
monde des surveillants de prison, 1994. Georges Benguigui, Fabrice
Guilbaud, Guillaume Malochet, La
socialisation professionnelle des surveillants de l'administration
pénitentiaire, Laboratoire Genre Travail et Mobilités (CNRS - Université
Paris 8 - Université Paris 10), GIP Mission de recherche Droit et
Justice, 2008 (disponible sur le site du GIP).
[39] Camille Allaria, Le placement sous surveillance électronique
: espace et visibilité du châtiment virtuel, Champ pénal 2014, vol. XI, disponible en ligne
(http://champpenal.revues.org).
[40] Antoinette Chauvenet, De
quelques observations sur la mise en œuvre des règles pénitentiaires
européennes, ENAP (non daté).
[41]
Laurence Cambon-Bessières, Les premiers surveillants,
Dossier thématique du CIRAP, 2006.