Conférence des Doyens de Droit et Science politique:
Lettre ouverte à Monsieur le Président de la Conférence des Présidents d’Université
16 juin 2015
"Monsieur le Président,
Depuis des années, les doyens et directeurs de Facultés et UFR juridiques alertent les présidents de leurs universités sur les conditions inadmissibles dans lesquelles s’exercent leurs missions d’enseignement.
A chaque rentrée, nos composantes accueillent à elles seules plus de 200.000 étudiants -soit près de 15% des effectifs universitaires- attirés par une formation professionnalisante offrant une grande diversité des carrières. Notre discipline est non seulement la plus attractive, mais aussi celle dans laquelle les effectifs d’étudiants connaissent la croissance la plus forte et la plus régulière. Et pourtant elle est, de toutes, celle dont les taux d’encadrement sont les plus misérables, et ce que l’on considère le personnel enseignant ou le personnel administratif.
Ce constat ne relève pas du fantasme. En juin 2012 déjà, le Premier Président de la Cour des comptes appelait l’attention de Madame la Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et de Madame la Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, sur la situation de la «filière droit» en pointant son attractivité mais aussi la faiblesse de ses moyens. L’analyse a été récemment prolongée par l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, dont le rapport sur La gestion des heures d’enseignement au regard de la carte des formations supérieures daté de juin 2014 et publié en mai 2015 dresse un état des lieux sans appel. Le rapport évoque ainsi «les écarts importants qui existent en matière de taux d’encadrement selon les disciplines. Le groupe sciences apparaît largement favorisé par rapport à tous les autres [...]. Les domaines «droit, économie, gestion» [...] sont en revanche sous encadrés. [Celui-ci], qui a connu la plus forte hausse d’effectifs au cours de la période, voit son potentiel augmenter de façon marginale» (p. 30). Evoquant les taux d’encadrement, il observe que «l’évolution entre les deux années [de référence] apparaît marginale (tous les groupes progressent, à l’exception du groupe DEG, dont le taux d’encadrement se dégrade» (p.31), avant de relever «l’inertie qui caractérise la répartition disciplinaire des emplois enseignants implantés dans les universités au regard des évolutions d’effectifs. La très forte croissance des effectifs en « droit, économie, gestion » ne correspond pas à une augmentation des moyens» (p.31).
Les écarts de traitement entre disciplines, au détriment systématique du secteur «droit, économie, gestion» (DEG), sont donc patents; loin de se résorber, ils ne cessent de se creuser. Et le droit est, de ces trois parents pauvres, le plus mal loti.
Il est de la responsabilité des présidents d’université de prendre des mesures fortes pour inverser ce mouvement, et doter les Facultés de droit de moyens suffisants pour exercer leurs missions, au besoin en redéployant des emplois. Mais qu’observe-t-on? Si quelques chefs d’établissement, comme le Président de l’université Paris Sud, ont pris des mesures courageuses pour rééquilibrer –lentement- les affectations de masse salariale entre composantes, ils constituent une exception, et la plupart d’entre eux se distinguent par leur immobilisme.
A nos demandes légitimes, les mêmes arguments éculés sont systématiquement opposés : la nécessité de doter la recherche scientifique; et le besoin d’encadrement «plus étroit» des disciplines scientifiques. Ces réponses sont, pour nous comme pour nos 200.000 étudiants, insupportables. La recherche juridique, si fondamentale à la préservation de l’Etat de droit, a aussi besoin de forces! Et en quoi les besoins d’encadrement dans les disciplines juridiques seraient-ils moins pressants qu’ils ne le sont dans les disciplines scientifiques? En droit comme ailleurs, un meilleur taux d’encadrement favoriserait un suivi plus personnalisé des étudiants, donc leur réussite, et renforcerait la dimension professionnalisante de la formation. Cette formation constitue, pour les universités, une mission aussi fondamentale que la recherche, et nous ne pouvons accepter que les «arbitrages» se fassent systématiquement à son détriment.
Jour après jour, le sentiment de n’être ni écoutés, ni entendus, devient plus oppressant. Ce sentiment nous a poussés à saisir Madame la Ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, des difficultés que nous rencontrons dans nos relations avec nos établissements. Mais nous voulons croire que la Conférence des présidents d’université n’attendra pas pour réagir.
Soyez certain que nous percevons le courage politique qu’implique, en période de restrictions budgétaires, le rééquilibrage des forces en présence dès lors que, les créations de postes étant rares, c’est le procédé du redéploiement d’emplois qui doit être utilisé. L’honneur des présidents d’université n’en serait que plus grand s’ils acceptaient, collectivement, d’assumer enfin les responsabilités qui sont les leurs en veillant à garantir la qualité de la formation des étudiants juristes. Nous voulons croire que notre message sera entendu! L’urgence est grande de répondre à ces demandes que nous présentons, non dans notre intérêt propre, mais dans celui de nos 200.000 étudiants.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de ma considération distinguée.
Pour la Conférence des doyens de droit et science politique,
sa Présidente, Sandrine Clavel"
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