Information transmise par Gr. Bigot:
Grégoire Bigot
L'administration française, politique, droit et société
Tome 1. - 1789-1870
2e édition revue
Paris, Lexisnexis/Litec (Manuel), janvier 2014, 397 p., ISBN:978-2-7110-1557-3, 38€
(cf. infra préface et sommaire)
Préface
(aimablement communiquée par l'auteur):
"Préface
à la seconde édition
Le
présent ouvrage est d’abord un manuel d’histoire de l’administration. Alors que
la matière est largement enseignée dans les facultés de droit – en tant que
telle ou indirectement, à travers le cours d’institutions administratives ou de
droit administratif – elle ne fait guère l’objet de recherches approfondies en
sciences juridiques. A tel point qu’à ce jour aucune maison d’édition juridique
ne présente d’Histoire de l’administration à son catalogue[1] là
où se publie une profusion de manuels et de traités relatifs aux institutions
et au droit administratifs. Le principal motif d’une telle désaffection tient
au fait que,...
... encore aujourd’hui, les études relatives à l’Etat restent rares. C’est le point sur lequel on voudrait insister ici ; il explique que nous n’ayons pas retenu le titre d’ « Histoire de l’administration » pour une approche plus large. C’est à réagir contre cet oubli de l’Etat comme figure historique que Pierre Rosanvallon a consacré plusieurs ouvrages qui ont relancé l’histoire politique de l’administration aux XIXe et XXe siècles. Comme vient de le rappeler Alain Chatriot – lui-même spécialiste de cette histoire politique de l’administration – les sciences humaines réinvestissent avec force ce champ de recherches depuis plus de vingt ans[2]. En témoignent notamment des études décisives consacrées à l’administration de l’Etat français (improprement qualifié de « Régime de Vichy ») par M.-O. Baruch ou L. Joly.Ces recherches sur l’administration sous Vichy le montrent : lorsque les formes politiques de la démocratie (élection, représentation, garantie des droits) s’effacent, il reste place pour un Etat purement administratif. Pour le dire autrement, avec un langage de juriste, une constitution administrative de la France sourd sous la constitution politique sans que l’une et l’autre entretiennent forcément un rapport logique, l’administration parvenant très bien à renier l’avènement politique de la démocratie. La leçon ne peut qu’interroger le chercheur pour le renvoyer à 1789. Comment se fait-il que l’administration, échafaudée sous la Révolution pour réaliser, pour concrétiser la nation souveraine, soit parvenue finalement à la réalisation de l’Etat, cet inconnu du constitutionnalisme révolutionnaire ? Y a-t-il concomitance entre l’Etat politique qui aspire depuis plus de deux siècles à l’avènement de la démocratie et l’Etat administratif vers lequel, suivant la triste expression d’Hauriou, « évoluent toutes les démocraties[3] » ? Bien entendu l’Etat administrativement réalisé de 1940-1941 n’était pas une fatalité, il n’est pas inscrit dans le patrimoine génétique de toute administration. Seulement, en ce qu’elle fait advenir un Etat, l’administration doit être interrogée du point de vue de ses conséquences politiques. L’âge des démocraties, au sens où l’entendait par exemple Tocqueville des sociétés postrévolutionnaires, est aussi l’âge d’une administration qui ne ressortit pas forcément à la démocratie. C’est ainsi que l’Etat n’est pas logiquement et a priori la personnification de la nation comme on a trop tendance à le croire depuis que des juristes, aux alentours de 1900, ont opéré cette liaison pour résoudre en apparence la contradiction entre Etat et démocratie. Si l’on a envisagé ici, dans ce manuel, l’administration comme un problème, comme une histoire à résoudre et, partant, comme une histoire à réécrire depuis ses origines révolutionnaires, c’est parce que l’Etat lui-même ne doit pas être envisagé comme une donnée naturelle et/ou intangible mais bien comme un sujet à questionner. Il appartient aux juristes d’avoir imposé la fiction de l’Etat ; on reste étonné que ces mêmes juristes, aujourd’hui, n’entrevoient pas la nécessité de remettre en cause le bien fondé de cet Etat, fut-il ce fameux « Etat de droit » par lequel il trouve au sein des facultés de droit – et bien au-delà – un surcroit de légitimité apparente[4].
... encore aujourd’hui, les études relatives à l’Etat restent rares. C’est le point sur lequel on voudrait insister ici ; il explique que nous n’ayons pas retenu le titre d’ « Histoire de l’administration » pour une approche plus large. C’est à réagir contre cet oubli de l’Etat comme figure historique que Pierre Rosanvallon a consacré plusieurs ouvrages qui ont relancé l’histoire politique de l’administration aux XIXe et XXe siècles. Comme vient de le rappeler Alain Chatriot – lui-même spécialiste de cette histoire politique de l’administration – les sciences humaines réinvestissent avec force ce champ de recherches depuis plus de vingt ans[2]. En témoignent notamment des études décisives consacrées à l’administration de l’Etat français (improprement qualifié de « Régime de Vichy ») par M.-O. Baruch ou L. Joly.Ces recherches sur l’administration sous Vichy le montrent : lorsque les formes politiques de la démocratie (élection, représentation, garantie des droits) s’effacent, il reste place pour un Etat purement administratif. Pour le dire autrement, avec un langage de juriste, une constitution administrative de la France sourd sous la constitution politique sans que l’une et l’autre entretiennent forcément un rapport logique, l’administration parvenant très bien à renier l’avènement politique de la démocratie. La leçon ne peut qu’interroger le chercheur pour le renvoyer à 1789. Comment se fait-il que l’administration, échafaudée sous la Révolution pour réaliser, pour concrétiser la nation souveraine, soit parvenue finalement à la réalisation de l’Etat, cet inconnu du constitutionnalisme révolutionnaire ? Y a-t-il concomitance entre l’Etat politique qui aspire depuis plus de deux siècles à l’avènement de la démocratie et l’Etat administratif vers lequel, suivant la triste expression d’Hauriou, « évoluent toutes les démocraties[3] » ? Bien entendu l’Etat administrativement réalisé de 1940-1941 n’était pas une fatalité, il n’est pas inscrit dans le patrimoine génétique de toute administration. Seulement, en ce qu’elle fait advenir un Etat, l’administration doit être interrogée du point de vue de ses conséquences politiques. L’âge des démocraties, au sens où l’entendait par exemple Tocqueville des sociétés postrévolutionnaires, est aussi l’âge d’une administration qui ne ressortit pas forcément à la démocratie. C’est ainsi que l’Etat n’est pas logiquement et a priori la personnification de la nation comme on a trop tendance à le croire depuis que des juristes, aux alentours de 1900, ont opéré cette liaison pour résoudre en apparence la contradiction entre Etat et démocratie. Si l’on a envisagé ici, dans ce manuel, l’administration comme un problème, comme une histoire à résoudre et, partant, comme une histoire à réécrire depuis ses origines révolutionnaires, c’est parce que l’Etat lui-même ne doit pas être envisagé comme une donnée naturelle et/ou intangible mais bien comme un sujet à questionner. Il appartient aux juristes d’avoir imposé la fiction de l’Etat ; on reste étonné que ces mêmes juristes, aujourd’hui, n’entrevoient pas la nécessité de remettre en cause le bien fondé de cet Etat, fut-il ce fameux « Etat de droit » par lequel il trouve au sein des facultés de droit – et bien au-delà – un surcroit de légitimité apparente[4].
Interroger n’est pas juger : personne n’ignore que
l’histoire administrative ne se résout pas à un simple rapport de domination à
sujétion, qu’il existe aussi des figures bienveillantes de l’Etat
administrativement réalisé avec l’avènement, sous les trois dernières
républiques, de ce que l’on appelle l’Etat providence ou l’Etat social. L’Etat
est aussi le garant d’une société adoucie par ses interventions ; il
existe un idéal social de l’Etat qui vise à l’amélioration des conditions de
vie du plus grand nombre. L’Etat, pour employer un lieu commun, est aussi
parvenu à réaliser une forme de démocratie sociale, preuve que l’administration
et la démocratie ne sont pas uniquement antinomiques, qu’elles ne sont pas
forcément vouées à s’opposer, à se contredire comme le crurent longtemps les
libéraux du XIXe siècle.
Ainsi s’explique que nous n’ayons pas retenu pour ce
manuel le titre d’ « Histoire de l’administration ». Car en
dehors de l’ouvrage de Pierre Legendre (qui de façon symptomatique a changé
d’appellation lors de sa réédition en 1992), une « Histoire de
l’administration » présentait l’inconvénient d’être, suivant une tradition
ancienne et discutable propre aux sciences juridiques, une Histoire des
institutions. Or écrire et donc décrire les institutions administratives,
c’était prendre le risque de commémorer, plus que d’expliquer, la figure de
l’Etat qui se profile derrière elles. C’était en outre se priver d’une approche
qui ne peut qu’être que transdisciplinaire puisque c’est en dehors des facultés
de droit que la recherche sur l’histoire politique de l’administration s’écrit
le plus. Le présent manuel leur est redevable et tente de prendre en considération
le travail accompli par tant de collègues de sciences humaines et politiques.
On a tenté d’enrichir et de compléter leur approche par le savoir-faire propre
au juriste où, plus exactement à l’historien juriste. A savoir que nous nous
sommes efforcés de décrypter et de rendre compte le plus précisément possible
de la richesse des textes juridiques qui président à l’histoire de
l’administration. Ne serait-ce que sous cet aspect, ce livre a bien vocation à
être un manuel ; les lois relatives à l’administration sont a
priori connues ; or il nous est
apparu qu’elles étaient peu étudiées à la source, d’après les publications qui
en avaient été faites et dans le cadre des débats politiques qui les avaient
précédées. Le manuel offre, espérons-le, un caractère de nouveauté sur ce
point.
Cette seconde
édition du tome I corrige les imperfections inéluctables d’une première
édition, notamment pour ce qui concerne la bibliographie, les développements
relatifs à l’administration dans ses rapports à la société et au droit. Mais,
pour les raisons ci-dessus invoquées, nous n’avons pas voulu modifier la
philosophie de l’ensemble[5], ce
d’autant plus que le tome II va enfin paraître qui tente de parfaire l’approche
globale de l’administration à laquelle nous avons taché de nous astreindre.
Si ce
travail à pu être mené à son terme, c’est grâce aux conditions de travail
qu’offre l’Institut universitaire de France à ses membres. C’est aussi par la
grâce qu’un éditeur qui accepte et comprend que la recherche prenne la forme de
manuels. C’est enfin avec la complicité amicale de Tiphaine Le Yoncourt,
co-auteur du tome II de cette Administration française.
[Grégoire Bigot]
[Notes]
[1] La seconde édition de l’ouvrage de
François Burdeau, Histoire de
l’administration française. Du 18e au 20e siècle, Paris,
Montchrestien, « Domat droit public », 1994, fait encore
exception.
[2] A. Chatriot, « De l’histoire
politique de l’Administration : les figures de l’Etat en France aux XIXe
et XXe siècles », La France et ses
administrations. Un état des savoirs, J.-M. Eymeri-Douzans et G. Bouckaert
(dir.), Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 69-82.
[3] Maurice
Hauriou, La jurisprudence administrative
de 1892 à 1929, Paris, Sirey, 1929, tome 1er, Préface, p. X.
[4] Il existe d’heureuses exceptions, à
commencer par les travaux de Jacques Chevallier en sciences administratives.
[5] On remercie les collègues pour leur
compte rendu – et pour leurs remarques critiques – de la première édition lors
de la journée d’études du 22 juin 2010, Ecrire
l’histoire de l’administration et de son droit aujourd’hui. Autour des ouvrages
de Katia Weidenfeld et de Grégoire Bigot, Université Montesquieu-Bordeaux
IV. Cf. également la note de lecture de J. Chevallier, Revue Française d’Administration Publique, 2010/4, p. 1056-1058."
Sommaire
Abréviations
Sommaire
Introduction
Première partie
AUX ORIGINES REVOLUTIONNAIRES DE L’ADMINISTRATION
(1789-1799)
Chronologie sommaire
Chapitre 1 – Unité et uniformité (1789-1792)
Section 1 – Les enjeux politiques
§ 1 – La nation réalisée: la domestication du territoire
A – La prompte édification de l’administration locale
1 – Contexte et débats
a – Le legs d’Ancien Régime
b – Les bouleversements de l’été 1789
c – Les débats relatifs au découpage territorial de la nation
2 – Les nouvelles entités administratives
a – Le décret sur les communes du 17 décembre 1789
b – Le décret sur les départements du 22 décembre 1789
B – La lente réorganisation de l’administration centrale
§ 2 – La nation paralysée: l’insoumission des corps administratifs
A – Sous la Constituante
B – Sous la Législative
C – L’incohérence de la législation coloniale
Section II – Les enjeux juridiques
§ 1 – L’administrateur-juge: naissance d’un privilège
§ 2 – Un statut pour les agents: naissance d’un particularisme
Chapitre 2 – Le repli sur le centre d’une unité exaspérée (1792-1799)
Section I – Le repli sur le centre aux temps de la Convention (1792-1795)
§ 1 – A la recherche de l’unité d’action
A – Le poids des évènements
B – Les idées constitutionnelles
§ 2 – L’unité d’action concrétisée: la centralisation jacobine de l’an II
A – Concentrer le pouvoir sur le centre: la simplification administrative
B – Contrôler les corps administratifs: la création de relais du pouvoir central
Section II – Le repli sur le centre aux temps du Directoire (1795-1799)
§ 1 – Le renforcement du pouvoir exécutif
A – Les idées constitutionnelles
B – La pratique
§ 2 – La réorganisation simplifiée des corps administratifs
Section III – L’affirmation des privilèges juridictionnels
§ 1 – Motifs politiques
§ 2 – Transcription juridiques
Chapitre 3 – Administration et société: sous le signe de la régénération (1789-1799)
Section I – Religion
§ 1 – L’Eglise régénérée: le service public du culte
A – Régénération acte un: la nationalisation des biens du clergé
B – Régénération acte deux: la constitution civile du clergé
§ 2 – L’Eglise supplantée: administration et sacrements
A – Laïcisation de l’état civil
B – Laïcisation du mariage et du décès
Section II – Education
§ 1 – L’éducation par l’école
A – Ambition démesurée des projets
1 – L’échec des projets libéraux (1791-1792)
2 – L’échec des projets autoritaires (1792-1794)
B – Modestie des réalisations immédiates
1 – Avant Thermidor
2 – Après Thermidor
§ 2 – L’éducation au-delà de l’école
A – Vertus pédagogiques de la fête
B – La fête décadaire
Deuxième partie
L’ADMINISTRATION NAPOLEONIENNE
(1799-1870)
Chronologie sommaire
Chapitre 1 – Aspect politique: la centralisation
Section I – La centralisation parachevée (1799-1830)
§ 1 – Le modèle napoléonien (1799-1814)
A – Le renforcement de l’autorité centrale
1 – Prédominance d’un exécutif monocratique
2 – Les auxiliaires de la centralisation au sein de l’Etat
B – La loi du 28 pluviôse an VIII: la mise sous tutelle des autorités locales
1 – Philosophie de la loi de pluviôse
2 – La réorganisation centralisée de la nation
§ 2 – Le modèle napoléonien contesté (1815-1830)
A – Réalité centralisatrice
B – Idées décentralisatrices
C – L’inaboutissement des idées libérales: l’échec de la réforme Martignac de 1829
Section II – La centralisation amendée (1830-1870)
§ 1 – La réforme administrative de Juillet (1830-1848)
A – La réforme des administrations locales
1 – L’administration communale
a – La loi d’organisation du 21 mars 1831
b – La loi d’attribution du 18 juillet 1837
2 – L’administration départementale
a – La loi d’organisation du 22 juin 1833
b – La loi d’attribution du 10 mai 1838
B – Les perfectionnements de l’administration centralisée
C – L’épuisement des idées décentralisatrices
§ 2 – Le conservatisme de la seconde République (1848-1851)
A – Administration et République (février-juillet 1848)
B – L’impossible réforme de l’administration intérieure.
§ 3 – Les oscillations du second Empire (1851-1870)
A – Améliorer le système de l’an VIII: l’Empire autoritaire
1 – Le retour à la primauté monocratique de l’Exécutif: ses incidences sur le renforcement de l’administration centralisée
2 – La déconcentration de 1852, modalité d’une reprise en main centralisatrice
B – Améliorer la législation de Juillet: l’Empire libéral
1 – La contestation d’inspiration décentralisatrice
a – Le débat relatif à la démocratie
b – La controverse relative aux effets de la centralisation
c – Un projet de décentralisation: le Manifeste de Nancy
2 – La réforme de l’administration intérieure
a – La loi du 18 juillet 1866 sur les attributions des conseils généraux
b – La loi du 29 juillet 1867 sur les attributions des conseils municipaux
c – Les ultimes réformes décentralisatrices de 1870
Chapitre 2 – Aspects juridiques: justice et droit administratifs
Section I – Les privilèges juridictionnels
§ 1 – Une justice particulière pour l’administration
A – La séparation de la justice et de l’administration au sein de l’Etat
1 – Le système napoléonien
2 – La pérennité du système napoléonien
B – Les bases constitutionnelles de la justice administrative
§ 2 – Le statut des fonctionnaires et la garantie juridictionnelle des agents du gouvernement
A – Traits distinctifs d’un statut de la fonction publique
B – La garantie des agents du gouvernement: l’article 75 de la Constitution de l’an VIII
Section II – L’exorbitance du droit administratif
§ 1 – Une consécration: l’enseignement du droit public administratif
A – Mise en ordre (1800-1830)
B – Théorisation (1830-1870)
§ 2 – L’impossible définition du droit administratif
Chapitre 3 – Etat et société: le libéral-étatisme
Section I – Administrer les libertés
§ 1 – Police
A – Naissance de la Police moderne.
B – La Police, mesure des libertés.
1 – Au nom de la sûreté de l’Etat.
2 – Au nom de la sécurité des personnes.
§ 2 – Religion
Section II – Instituer le social
§ 1 – Eduquer: le gouvernement des esprits.
§ 2 – Entreprendre
§ 3 – L’illusion coloniale.