Information transmise par Gr. Bigot, T. Le Yoncourt et C. Dounot:
Grégoire Bigot et Tiphaine Le Yoncourt
L'administration française
L'administration française
politique, droit et société
Tome 2. - 1870-1944
Tome 2. - 1870-1944
Paris, LexisNexis (Manuels), févr. 2014, 500 p., ISBN:978-2-7110-1558-0, 39€
Introduction
(aimablement communiquée par les auteur-e-s)
"1. – L’histoire politique de l’administration est une histoire de l’État.
Dans la continuité du premier tome, les développements de ce second tome
relèvent, par choix, d’une histoire politique de l’administration. Ils
interrogent à titre principal la figure de l’État qui irrigue concrètement et
conceptuellement l’administration centralisée du modèle français. Cet État, aux
alentours de 1800, est venu se substituer à la nation politique et souveraine
de 1789 afin d’asseoir la gouvernabilité d’une nation qui, abstraite, peinait à
trouver son assise. L’État est en premier lieu l’expression et l’incarnation
d’une constitution administrative venue pallier l’instabilité des constitutions
politiques qui se succèdent à un rythme effréné jusqu’en 1875.
C’est ce modèle d’une gouvernabilité administrative de la
Nation par l’État que va parfaire la troisième République et dont l’État
français va être l’expression la plus pure. « La plus longue des
républiques », qui pour l’imaginaire collectif est le régime de
l’avènement de l’État en ce qu’il serait l’avènement de « l’État
providence » ne constitue pas une rupture mais un accomplissement. C’est
en effet en s’appuyant sur l’État administratif descendant en construction
depuis 1800 que les républicains de la IIIe République entreprennent
d’accomplir la promesse de démocratie sociale et libérale qu’ils retiennent de
la Révolution. Quant au régime de Vichy, qui en toute rigueur juridique est le
régime de l’État français, il témoigne, certes du fait des circonstances
exceptionnelles, qu’un régime politique peut se réduire au seul État
administrativement constitué. Bien sûr, l’État administratif bâti sur plus d’un
siècle n’annonçait pas Vichy comme une fatalité ; mais l’État français ne
fut possible qu’à la condition d’une constitution administrative de l’État
distincte et même indépendante de sa constitution politique, constitution
administrative que chaque changement de régime, chaque crise politique
renforçaient.
2. – Les périmètres de l’histoire politique de l’administration. Les
universitaires renoncent d’ordinaire à vouloir fournir de l’administration une
seule définition du fait des domaines variés qu’elle couvre ; on dit
souvent que le mot est polysémique et que la chose ne saurait se réduire à un
seul savoir disciplinaire. C’est vrai. Tenter une histoire politique globale de
l’administration suppose de relever le défi d’une ouverture des sciences
sociales les unes sur les autres. Cela est d’autant plus nécessaire que les
juristes, comme s’ils supposaient close ou épuisée la question de l’État,
produisent peu de travaux à son sujet depuis quelques décennies. Alors que dans
le même temps, les sciences sociales et politiques ont réinvesti en force la
question de l’histoire de l’administration[1].
Il convenait donc de combler des lacunes propres aux sciences juridiques et
d’opérer des liens entre les disciplines. C’est pour cette raison que le
présent manuel, même s’il est le fait de juristes historiens du droit, porte
comme sous-titre « politique, droit et société » ; il a fait le
choix de l’État comme ligne d’horizon et veut essayer de l’aborder
simultanément sous ces trois angles.
3. – État politique et organisation administrative. L’histoire de l’État
administratif est bien entendu liée à son histoire politique, mais au-delà elle
est aussi l’histoire d’un droit public politique dont les juristes ont tendance
à se désintéresser, sinon à nier l’existence. En se constituant en science, sur
le modèle des autres sciences sociales, l’enseignement du droit public a eu
tendance à se spécialiser et à se cloisonner en sous-disciplines
artificiellement coupées les unes des autres. Depuis que le droit
constitutionnel, puis la science politique, ont accédé au rang de disciplines
académiques, sanctionnées et/ou légitimées par des instances propres[2],
leurs recherches se caractérisent par un effacement de la figure de l’État
autour et à partir de laquelle se structura pourtant le droit public, en tant
que science, aux alentours de 1900. On assiste corrélativement à une
déconnection, à une disjonction entre la politique et l’administration ;
les deux objets sont de moins en moins rapprochés alors qu’ils figuraient comme
indissociables dans les anciens manuels de droit public. Tandis que les
ouvrages de science politique et de droit constitutionnel – ces derniers
présentant l’inquiétante tendance à se réduire au contentieux
constitutionnel – taisent une administration qui réalise l’État, ne
serait-ce qu’au plan des institutions, les manuels de droit administratif ou
d’institutions administratives ignorent la réalisation politique que porte en
lui tout État administrativement constitué. C’est à replacer cet État au cœur
de l’histoire administrative que vont être consacrés les chapitres premiers des
deux parties de cet ouvrage.
Une attention toute particulière a été apportée à
dépoussiérer par des recherches inédites ce qui est d’ordinairement écrit au
sujet des grandes lois qui organisent, en 1871 et 1884, les départements et les
communes pour plus de soixante-dix ans ; les développements sont ici
volontairement exhaustifs dans la mesure où ces lois solutionnent une
difficulté qui avait traversé tout le xixe siècle,
celle de l’inadéquation entre administration et démocratie. Mais l’étude des
institutions ne peut avoir de sens que mise en liaison, que reliée avec
l’histoire sociale de l’État en tant que cette histoire raconte la faculté de
l’État de modeler le social ou d’arbitrer ses tensions. C’est notamment ici
qu’il fallait prendre en considération les nombreuses avancées réalisées par
les sciences sociales et politiques et nourrir l’histoire de l’administration
d’une approche pluridisciplinaire. Sur ce volet de la « démocratie
sociale » que peut ou veut réaliser l’État administratif, nous avons cru
utile, tant que faire se pouvait, de compléter les recherches en sciences
sociales par un retour aux textes de lois et aux débats politiques dans
lesquels elles s’inscrivaient.
4. – État et droit administratif. Le champ à proprement parler juridique
de l’administration devait être isolé même s’il fait l’objet de développements
qui obéissent à la même logique d’un droit dont le sens est fondamentalement
politique. Sur le modèle allemand d’un droit public administratif qui se
constitue en science dans le dessein de légitimer la puissance politique de l’État,
le droit administratif français se restructure, lors du « moment
1900 », afin d’acclimater un droit d’essence impériale (créé du moins sous
le premier Empire, puis perfectionné sous le second) aux principes d’une
République démocratique. Le droit administratif, qui manifestait la puissance
de l’État, devient la mesure de l’État. Cadre à part au sein de la Nation dans
lequel le Conseil d’État s’emploie à circonscrire l’administration et ses
agents ; le droit administratif est à la fois la révélation et la
consécration de l’État puisqu’il lui offre une légitimité juridique en lieu et
place de l’ancienne légitimité politique de plus en plus affaiblie.
5. – État administratif et organisation sociale. Le champ social, dans
ses rapports avec l’État, est d’une infinie complexité et constitue le domaine
le plus difficile à circonscrire pour l’histoire de l’administration. Nous
sommes partis du principe que l’État était porteur d’un idéal social dès lors
que le politique n’était plus, depuis l’échec de la Révolution française sur ce
point, une construction ascendante (la société qui se donne son propre
pouvoir), mais une construction descendante, issue du modèle napoléonien, d’un État
comme principale force sociale et qui, par là même, tente de mettre en forme le
social.
Cette histoire – du moins le parti de traiter sous
ce biais cette histoire – se complique considérablement à compter de la
troisième République dans la mesure où le présupposé d’un État libéral,
c’est-à-dire modeste dans le champ social – comme en témoigne par exemple le
peu de prise de l’État sur l’économie pendant plus d’un siècle – a
tendance à s’estomper au profit de ce que ses détracteurs nomment
l’étatisme : expression des libéraux qui estiment anormal que
l’administration institue des pans entiers du social en administrant par
exemple l’instruction ou la charité, en passe de devenir une protection
sociale. Étatisme qui reste précisément modeste durant la troisième République,
parce que le présupposé libéral, legs révolutionnaire, d’une défiance à l’égard
de la puissance publique, est le propre de ce que l’on appelle abusivement
« l’État providence ». La troisième République organise d’abord
« la providence » – à supposer que le mot ait un sens en
République – par le canal de ses grandes lois sociales, par le biais donc
de la représentation politique, élective et démocratique. Parce que Vichy
répudie la démocratie et parce que son expression politique se résume à un État
administratif, l’étatisme est sa marque de fabrique : l’administration se
diffuse jusqu’au tréfonds de la nation avec l’ambition de reconstituer le
social sur les bases idéologiques et autoritaires de la Révolution nationale,
ou du moins de prétendre le faire.
6. – Limites de la démarche et de la méthode. Tout ne pouvait être dit
au risque de trop diluer le propos d’un ouvrage qui s’inscrit dans le genre des
manuels. Il a donc fallu se résoudre ici, comme dans le tome I, à des choix
basés sur l’exclusion. C’est arbitrairement, il faut l’avouer, que nous ne traiterons
pas ici de l’histoire fiscale et financière qui, étant à elle seule une
histoire de l’État, aurait nécessité de trop longs développements ; dans
un souci de synthèse, ne sera abordée que la question plus générale de l’État
dans ses rapports à l’économie. La présente histoire de l’administration ne
comporte pas d’éléments de droit comparé ; l’histoire globale à laquelle
on a souhaité s’astreindre ici supposait qu’au préalable le modèle français fut
complètement traité ; une histoire comparée des administrations et des États,
ne serait-ce qu’à la seule échelle de l’Europe, est un tel champ de recherches qu’il
nécessiterait l’écriture d’au moins un autre ouvrage et l’adjonction d’autres
compétences.
Le dernier choix à arbitrer restait celui de la chronologie :
on s’étonnera que nous clôturions la présente étude sur le régime de Vichy,
soit en 1944, comme si l’État français était une sorte de terminus ad quem de toute histoire de l’administration. On vient de
le souligner : ce régime a une importance toute particulière en ce que
l’autoritarisme administratif qu’il réalise n’était possible qu’à la condition
que les régimes qui l’avaient précédé avaient organisé la possibilité d’une
gouvernabilité purement administrative. On espère ici, à tout le moins, que les
chapitres consacrés à Vichy susciteront la réflexion dans les facultés de
droit, encore peu enclines à interroger cet objet central du droit public. En
direction du reste des lecteurs, avouons qu’en toute rigueur et honnêteté
intellectuelle une histoire de l’administration se devrait d’englober au moins
la quatrième République en ce qu’elle renoue avec une administration coulée
dans un modèle politique démocratique, et en ce qu’elle réalise pleinement,
notamment avec la création de la sécurité sociale, la fameuse démocratie
sociale dont l’État administratif, cette fois (enfin) providentiel, peut être lourd
de promesses. L’État administratif prend donc de nouvelles formes et s’enrichit,
avec la planification, d’un volet économique dans la seconde moitié du xxe siècle. Mais sa permanence
par delà la rupture constitutionnelle entre quatrième et cinquième République le
confirme : la constitution administrative de l’État reste l’élément de
permanence de l’histoire politique française après 1945.
Il manque donc une troisième partie au manuel :
« L’âge d’or de l’administration républicaine » ; il court de
1945 aux débuts des années 1970 si l’on prend en considération la crise que
connaît l’État dans le sillage de la crise économique ; il se prolonge
jusqu’au début des années 1980, avec la « décentralisation » de 1982,
si l’on focalise son attention sur les formes administratives de l’État. Cette
troisième partie figurera dans une édition ultérieure du manuel.
Les pages que l’on va lire sont le fruit d’une écriture conjointe.
Il y avait trop à lire, à chercher, à écrire pour que l’administration depuis
1870 fût le fait d’un travail solitaire. Tous les développements ont été
rédigés par les deux auteurs qui n’ont pas juxtaposé mais mêlé leurs
compétences et fatalement rencontré leurs limites.
[1] Comme en témoigne la bibliographie particulièrement
exhaustive de La France et ses
administrations. Un état des savoirs, J.-M. Eymeri-Douzans et G. Bouckaert,
Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 619-690.
[2] On songe aux quatre premières sections du Conseil
National des Universités (CNU) et aux quatre concours différenciés
d’agrégations dites du « supérieur »."
Gr. Bigot et T. Le Yoncourt
Bibliographie générale accompagnant cette introduction
"Bibliographie générale. – F. Burdeau, Histoire de l’administration française. Du 18e au 20e siècle, Paris, Montchrestien, « Domat droit public », 2e éd., 1994. – (Collectif), Histoire de l’administration française depuis 1800. Problèmes et méthodes, Genève, Droz, 1975. – F. Dreyfus, L’invention de la bureaucratie. Servir l’État en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis (xviiie-xxe siècle), Paris, La Découverte, 2000. – J.-M. Eymeri-Douzans et G. Bouckaert (dir.), La France et ses administrations. Un état des savoirs, Bruxelles, Bruylant, 2013. – P. Legendre, Trésor historique de l’État en France. L’Administration classique, Paris, Fayard, 1992. – G. Sautel, Histoire des institutions administratives, Paris, Les Cours de droit, 1970-1971. – G. Sautel et J.-L. Harouel, Histoire des institutions publiques depuis la Révolution française, Paris, Dalloz, « Précis Dalloz », 9e éd., 2007. – Y. Thomas, Histoire de l’administration, Paris, La Découverte, 1995. – P. Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, « Points histoire », 1990 ; id. Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, « Points histoire », 2006. – G. Thuillier, La bureaucratie en France aux xixe et xxe siècles, Paris, Economica, 1987."
Présentation éditeur
En France, l'administration est l'État. Elle dote la nation d'une constitution administrative qui, à compter de la nie République, pallie les insuffisances d'une constitution politique décriée.
L'État de droit, forgé par la doctrine universitaire, offre à cette constitution administrative une légitimité juridique qui résout, en apparence, la question de sa légitimité politique qui était restée pendante au XIXe siècle.
L'histoire administrative raconte enfin la mise en forme du social par l'État ou, du moins, raconte-t-elle la façon dont la puissance de l'Etat est unanimement acceptée en tant qu'elle rend possible la réalisation d'un idéal social.
Le présent manuel s'adresse aux étudiants des facultés de droit et des lettres, aux étudiants des instituts d'études politiques et à tous les lecteurs soucieux d'approfondir leur connaissance de l'histoire de l'administration.
Auteurs
- Grégoire Bigot est professeur d'histoire du droit à l'université de Nantes et membre de l'Institut universitaire de France.
- Tiphaine Le Yoncourt est maître de conférences en histoire du droit à l'Université de Rennes I et chargée de cours à l'Institut d'études politiques de Rennes.
Sommaire
La synthèse républicaine (1870-1940):
- L'État administratif
- L'administration républicaine et son droit
- L'État et l'idéal social républicain
L'État français (1940-1944):
- L'administration au service de la Révolution nationale
- Les politiques administratives de l'Etat français