Chercher in Nomôdos

9 févr. 2010

Appel à contributions ouvrage collectif: "Violences juvéniles sous expertise(s), XIXe-XXIe s. (limite 15 févr. 2010)

Information transmise par Fr. Audren:
Appel à contribution
Violences juvéniles sous expertise(s), XIXe-XXIe siècle
Ouvrage collectif
Expertise and juvenile violence, 19th-21st century
Collective work
(limite: Lundi 15 février 2010)

Résumé
Dans la construction historique du problème social que constitue la violence juvénile, que celle-ci soit exercée ou subie, le rôle de l’expertise est primordial. La violence, phénomène intime et social, étroitement associé avec l’état de jeunesse, oscille entre l’objectivité de ses manifestations et la subjectivité de sa perception. Elle se mesure à l’aune de son énoncé dans la sphère publique. L’expert, agissant au cœur ou à la lisière du système institutionnel de protection de la jeunesse, peut être celui qui recueille cette expression et celui qui la met en forme. Ainsi, l’expérience de la violence chez les jeunes est médiatisée par les formes de discours savants que produisent les experts.
Présentation
(see below for the English version of this text)
Dans la construction historique du problème social que constitue la violence juvénile, que celle-ci soit exercée ou subie, le rôle de l’expertise est primordial. La violence, phénomène intime et social, étroitement associé avec l’état de jeunesse, oscille entre l’objectivité de ses manifestations et la subjectivité de sa perception. Elle se mesure à l’aune de son énoncé dans la sphère publique. L’expert, agissant au cœur ou à la lisière du système institutionnel de protection de la jeunesse, peut être celui qui recueille cette expression et celui qui la met en forme. Ainsi, l’expérience de la violence chez les jeunes est médiatisée par les formes de discours savants que produisent les experts.

Les experts ont très tôt investi cette question de la violence. Dès le XIXe siècle, la médecine légale épaule la justice en cherchant à en identifier les traces corporelles. Puis, au XXe siècle, une expertise diversifiée contribue largement à l’extension de la définition de la violence, passant du visible à l’invisible, de la violence physique à la violence psychique, voire même à la violence symbolique. Les experts dépassent alors la posture du simple diagnostic pour investir le champ du traitement de la violence, s’inscrivant dès lors dans une démarche de soin et de réhabilitation sociale.

Cette expertise, avatar de la modernité rationnalisatrice, s’est progressivement organisée dans le champ social au XIXe siècle, auprès de la justice en particulier, au point d’occuper, au XXe siècle, une position dominante dans le champ de la protection de la jeunesse. Médecins, psychiatres, puis psychologues, pédagogues, sociologues et anthropologues ont investi la question de la jeunesse irrégulière, contribuant ainsi à la définition d’une population-cible pour les politiques publiques.

L’expertise se présente comme une pratique sociale et professionnelle issue d’un savoir scientifique. Son intervention relève d’abord de l’identification, de la reconnaissance de phénomènes singuliers, se poursuit par une volonté classificatoire et étiologique et se prolonge par une proposition thérapeutique, prophylactique, orientant la décision de l’institution commanditaire. Mais cette autorité tirée d’une supposée objectivité scientifique produit en retour, sur les objets et les populations qu’elle veut étudier, des formes de singularisation, d’assignation, dont peuvent résulter des processus de stigmatisation individuelle ou de construction de problèmes sociaux. En outre, l’historiographie de l’expertise a montré comment les discours savants procédaient de manière paradoxale pour asseoir leur légitimité : complexifiant à l’envi les objets étudiés, à travers une nosographie parfois absconse, ils s’enracinent aussi dans la vulgate du sens commun, reproduisant sous d’autres formes des figures stéréotypées, agençant subtilement science et doxa, autorité technocratique et légitimation via l’opinion publique.

Ce savoir expert ainsi constitué en instrument de pouvoir, même s’il reste soumis à d’autres formes d’autorité (la justice notamment), fonctionne, comme l’a montré Michel Foucault, en prélevant de l’information sur une population donnée, puis en restituant ce savoir sous la forme d’un pouvoir qui s’impose à ces populations. Ian Hacking indique que cette pratique analytique et classificatoire est la conséquence d’une volonté de contrôle agissant à couvert, où l’action sur le corps social apparaît finalement être une conséquence de la classification, alors même qu’elle en est la cause. On peut donc suggérer, à la suite de Pierre Bourdieu, que cette opération expertale relève de la violence symbolique, processus dont la performance tient au fait que les acteurs n’ont pas conscience de la contrainte qui pèse sur eux, ayant incorporé le discours de l’expertise à leur propre identité. Ainsi, nous devons considérer à la fois la violence réifiée par l’expertise et la violence exercée par l’action de l’expertise. Cependant, l’historiographie de ces vingt dernières années a montré comment ces processus de classement rencontraient les résistances des acteurs, suscitaient des tentatives de subversion, de contournement, et constituaient toujours, malgré l’inégale répartition du capital symbolique, des sites de négociation dans l’élaboration des normes.
Sur le plan théorique, plusieurs questions transversales méritent d’être soulevées :
  • L’expertise fonctionne comme compétence liée à une spécialisation, relevant de la technocratisation de l’action publique notamment. Mais elle tire également sa légitimité de son extériorité : en important un savoir exogène à un champ donné, elle entend conférer distance et objectivité. Entre compétence et extériorité, existe-t-il des tensions, et peut-on tenter une écologie de l’expertise ?
  • L’expert est-il un entrepreneur de morale ? Si morale et vérité ont longtemps été synonymes, la laïcisation du savoir a théoriquement scindé ces deux concepts. La morale ne persiste-t-elle pas cependant à irriguer les savoirs experts, notamment dans le domaine de la protection de la jeunesse ?
  • L’expertise a contribué à forger un nouveau discours sur le risque et sa gestion par des procédés de gouvernement, rendant la figure de l’expert d’autant plus ambiguë. L’expert est-il un savant, travaillant sur des faits objectifs, ou un oracle, dont la fonction prédictive, et par là même spéculative, est devenue primordiale ?
  • L’expertise, largement entrée sur la scène du droit et de la justice, présente des traits apparemment contradictoires avec un droit conçu comme constitutif de l’espace public, à travers lequel s’exerce la citoyenneté, puisqu’elle fonctionne sur un mode technocratique et se présente comme une autorité non délibérative. Dès lors, l’expertise est-elle compatible avec le droit libéral ?
Sur le plan thématique, plusieurs propositions peuvent être suggérées, sans exclusive:
  • Quelle est l’histoire de la circulation des modèles de l’expertise, à l’échelle nationale et internationale ? Si les premiers experts entrent en scène au sein des réseaux philanthropiques du XIXe siècle, la professionnalisation des organisations est rapide, avec la tenue de congrès internationaux dès la fin du siècle, et la consécration de l’expertise au XXe siècle par les organisations internationales en genèse (BIT d’abord, puis SDN, et ONU principalement).
  • Quel rôle ont joué ces différentes structures dans la reconnaissance et le fonctionnement de l’expertise? 
  • Quels transferts culturels ont-elles permis, ou quelles résistances nationales ont-elles suscité? 
  • Peut-on affirmer que le langage expertal est devenu l’idiome hégémonique de ces organisations transnationales?

L’ouvrage consacrera un volet aux professions de l’expertise auprès de la jeunesse en difficulté. Qui sont ces experts? Quelle est leur formation? Quels facteurs ont permis d’élever la maîtrise d’une discipline au rang de savoir expertal, légitimant l’intervention de ses représentants dans le processus décisionnel? Existe-t-il une déontologie codifiée spécifique à chaque domaine d’intervention?


Les institutions de l’expertise seront, elles aussi, l’objet d’une attention particulière. Quel est le rôle des institutions de prise en charge (maisons de correction, orphelinats, institutions médico-pédagogiques, etc.) dans l’épanouissement des savoirs experts? Dans quelle mesure ont-elles favorisé ces pratiques expertales, notamment en se spécialisant? L’expertise a-t-elle été mobilisée comme argument de légitimation, ou comme outil de captation de populations sur le marché de la rééducation?
Que sait-on aujourd’hui de ces populations soumises à l’expertise ou qui la sollicitent? Existe-t-il des profils récurrents, en fonction des classes d’âge, du genre, de l’origine ethnique, de la classe sociale, etc.? Comment décrire leur posture face au discours expertal, entre acceptation et rejet, instrumentalisation et soumission, méfiance et crédulité?

Une grande part de l’expertise autour de la jeunesse en difficulté est mobilisée par la justice des mineurs. Comment fonctionnent expertise et justice, lors des différentes étapes de l’intervention judiciaire: rôle de l’expertise dans l’élaboration de la preuve, dans le diagnostic, dans le pronostic, dans la recommandation de traitement judiciaire? Comment les différents experts intervenant au sein du tribunal pour enfants concilient-ils leurs intérêts ; fonctionnent-ils en symbiose, dans le conflit, selon des formes d’instrumentalisation réciproques? Enfin, quelle est l’incidence de l’expertise sur l’aire d’intervention de la justice? L’enfance, comme paradigme générique du comportement humain, comme âge de la vie à protéger, n’a-t-elle pas permis à la justice d’étendre ses prérogatives?

Qu’en est-il des savoirs de l’expertise? Si la légitimité de l’expert repose sur les savoirs sur lesquels il s’appuie, une bonne part de son activité reste empreinte d’empirisme. Ces savoirs se nourrissant de leur terrain d’action ne présentent-ils pas des biais tautologiques, les populations observées étant déjà stigmatisées? La complexité nosographique de l’expertise ne donne-t-elle pas souvent lieu à une standardisation des étiologies et des préconisations de traitement? Existe-t-il des concurrences entre les savoirs experts? Quelle est la compatibilité des différents savoirs mobilisés, par exemple, entre socio-genèse des violences juvéniles et psychologisation des approches?

Que dire, enfin, de l’expertise dans l’espace public? Comment expertise et discours médiatique se croisent-ils? Les experts participent-ils à la fabrique de l’opinion? Existe-t-il un rôle politique de l’expertise, qui abandonne dès lors sa posture de retrait scientifique au profit de l’intervention publique?

Cet ouvrage, coordonné par Aurore François, Veerle Massin et David Niget, sera publié en novembre 2010 aux Presses universitaires de Louvain.
Le comité scientifique de cette publication est composé de chercheurs issus de différents horizons disciplinaires et géographiques:
  • Ludivine Bantigny, historienne, Maître de conférence à l’Université de Rouen
  • Louise Bienvenue, historienne, Professeur à l’Université de Sherbrooke
  • Frédéric Chauvaud, historien, Professeur à l’Université de Poitiers
  • Michel Chauvière, sociologue, Directeur de recherche au CNRS
  • Jenneke Christiaens, criminologue, Professeur à la Vrije Universiteit Brussel
  • Marie-Sylvie Dupont-Bouchat, historienne, Professeur émérite à l’Université de Louvain
  • Tamara Myers, historienne, Professeur à l’University of British Columbia
  • Martine Ruchat, historienne, Professeur à l’Université de Genève

Les textes pourront être remis en français ou en anglais et seront publiés dans leur langue d’origine.

Le format des textes respectera la limite haute de 40.000 signes, espaces et notes incluses.

Voici les étapes de cette publication :

  • Les propositions de texte, rédigées en français ou en anglais, comprenant 1 page de résumé (incluant une problématique, une présentation des sources exploitées, ainsi qu’une bibliographie sommaire) et un bref CV, sont attendues pour le 15 février 2010, à l’adresse suivante : expertises@uclouvain.be
  • Le choix des propositions retenues sera signifié dès le 18 février 2010.
  • Les textes sont attendus pour le 3 mai 2010. Ils seront évalués selon la procédure courante : double lecture à l’aveugle.
  • Le comité scientifique remettra un avis sur les textes pour le 1er juillet 2010. Nous tenons à préciser que la soumission d’un texte ne garantit pas sa publication.
  • Le retour définitif des textes amendés est fixé au 1er septembre 2010.
Adresse de contact : expertises@uclouvain.be
Fichiers à télécharger (site de Calenda):
Appel___contributions_Xpertise_140110_FR_ENG_A4.pdf


Contact 
David Niget et Aurore François - expertises@uclouvain.be 
Université de Louvain, CHDJ, Rue du Poirier, 10, B-1348 Louvain-la-Neuve, Belgique
 
URL
Centre d'histoire du droit et de la justice: http://juppiter.fltr.ucl.ac.be/FLTR/HIST/CHDJ/

Source: «Violences juvéniles sous expertise(s), XIXe-XXIe siècle», Appel à contribution, Calenda, publié le mercredi 13 janvier 2010, http://calenda.revues.org/nouvelle15450.html