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10 nov. 2010

Sciences Po Paris, Séminaire de 3e cycle: "Les fabriques impériales de la modernité", Paris, Progr 2010-2011, "L’épreuve des Indes"

Information transmise par Fr. Audren
Sciences Po Paris
Séminaire de recherche de 3ème cycle

Les fabriques impériales de la modernité
 
Paris
Programme 2010-2011
 
L’épreuve des Indes

Sous la direction de Romain Bertrand (CERI-Sciences Po) et Stéphane van Damme (Centre d’histoire de Sciences Po)

 
Lieu des séances : Salle du conseil (4ème étage), CERI, 56 rue Jacob, 75 006 Paris
 
Présentation
Le séminaire est ouvert à tous les étudiants de M2 et de doctorat, quelle que soit leur discipline ou leur institution de rattachement. Les demandes d’inscription peuvent être adressées à: romain.bertrand@sciences-po.fr et à stephane.vandamme@sciences-po.fr

Programme 2010-2011: L’épreuve des Indes
Argumentaire du séminaire Depuis une dizaine d’années, les cadres interprétatifs qui réglaient l’approche des savoirs en situation de «rencontre impériale» ont considérablement changé, tirant profit de toute une série de propositions historiographiques. Issu de l’histoire culturelle et voué à la comparaison de situations historiques géographiquement différenciées, le courant de l’«histoire comparée» s’est épanoui dès le début des années 1990, en réaction aussi bien à une histoire globale taillant trop large qu’à une histoire coloniale prise dans les rets du «nationalisme méthodologique». La théorie du «terrain intermédiaire (middle ground)» (Richard White) a parallèlement permis de conceptualiser la pluralité et la complexité des scènes sociales constitutives des interactions de «premier contact». Les approches en termes de «transferts culturels» (Michael Werner, Michel Espagne) ont également évolué, à compter de 2004, vers le projet d’une «histoire croisée» attentive au détail des sociabilités et des matérialités des conversations savantes ‘‘transnationales’’. D’autres historiens encore ont cherché à renouer ou à rouvrir un dialogue critique avec la tradition des Annales incarnée par Fernand Braudel, partisan d’une histoire du monde compartimentée en «civilisations». Sanjay Subrahmanyam, Serge Gruzinski, Kapil Raj ont à ce titre développé une approche d’«histoire connectée» très critique à l’égard des impensés européocentristes de la world history et de la global history. Plus récemment encore, Lissa Roberts et Simon Schaffer se sont interrogés sur les possibilités narratives induites parle passage d’une approche diffusionniste des savoirs impériaux à une approche circulatoire. Cette dernière met en avant le régime social et culturel des «intermédiaires (go-betweens)» et prend pour horizon d’enquête une situation historique privilégiée: celle de la «zone contact».

En revenant à l’occasion sur tel ou tel de ces domaines de propositions pour en préciser la portée et les limites, mais surtout en s’en nourrissant pour discuter des recherches en cours portant sur des études de cas aussi détaillées que possible, ce séminaire souhaiterait entreprendre à nouveaux frais l’étude des situations de «rencontre impériale» de l’âge moderne en prenant pour objet de l’analyse le sens ordinaire de la comparaison, et ce faisant en spécifiant les pratiques de commensurabilité propres aux acteurs de cette rencontre. Cette anthropologie historique symétrique des savoirs vise à sortir du clivage entre domaines européen et extra-européens tout comme à s’abstraire des postures plus idéologiques qu’heuristiques en matière de choix des «échelles» d’analyse («globale», «régionale», ou «locale»). Cette problématique s’articule donc prioritairement à une réflexion sur la construction pratique des étalons et des dispositifs de mise en équivalence (monétaire, linguistique, diplomatique, etc.) qui permettent à l’ensemble des acteurs qui en sont partie prenante d’habiter le monde commun évanescent de la «rencontre impériale». Elle rejoint par ce chemin la question du type et du mode de savoir(s) qui soutiennent la «rencontre impériale» – soit qu’ils lui préexistent et en orientent la compréhension, soit qu’ils en soient le produit et en circonscrivent ex post l’intelligibilité.

Il s’agit plus précisément, sous cette rubrique, non seulement de détailler les différents types d’épreuves élaborés par les savants pour tester et hiérarchiser les espaces-limites de la progression impériale européenne, mais aussi de rendre compte des embarras et des effrois classificatoires que suscitèrent, dans le petit monde des lettrés humanistes et des collectionneurs de « curiosités », les mots, les choses et les créatures des Indes. De fait, les confins océaniens, indiens, insulindiens ou nord-américains des entreprises impériales européennes ont joué un rôle crucial dans la critique créative de l’autorité des Anciens, et ce dans des domaines aussi divers et mouvants que la cosmographie, la botanique, le droit des nations ou l’astronomie. A cheval sur les «règnes» et les chronologies scolastiques, de nouveaux êtres de son, de chair ou de sève sont venus peupler, de façon le plus souvent tumultueuse, les glossaires des érudits et les étagères des cabinets de «curiosités». Les conditions même de leur collecte et de leur préservation post mortem ont par surcroît fortement contribué à dicter les nouvelles modalités expérimentales de la connaissance savante. Une part de la «modernité» de ces savoirs, ou plus précisément des critères mêmes de leur définition rétrospective comme «modernes», vient ainsi de ‘‘l’épreuve des Indes’’ qu’ils ont dû subir, et qui a profondément infléchi leurs prétentions à l’universalité et à la véridicité.

Il faut, enfin, rester attentif, dans le cadre de l’analyse de ces savoirs émergents, aux diarchies urbaines qui affectent leur mise en forme et leur énonciation publique. Les conflits et la compétition entre deux villes exacerbent cet effet « capitales » en recyclant un lexique de lieux communs. Plutôt que de le considérer comme sans intérêt, il a semblé intéressant au contraire de voir comment les acteurs s’en saisissent pour dimensionner d’autres grandeurs, agrandir ou diminuer la position relative de telle ou telle valeur. Ces conflits ouvrent en effet un débat sur la «juste» mesure des valeurs légitimes, sur les «bons» critères utilisés pour estimer et indexer la «rencontre impériale» dans un grand récit recomposé de l’origine des Nations ou du devenir de l’Europe. Celle-ci apparaît au final elle-même comme une créature métisse, issue pour partie des lieux et des (non-)dits de la «rencontre impériale». Le détour par les empires modernes n’est donc pas une manière de fétichiser les «aires culturelles», mais bien de plaider pour un usage productif du comparatisme et de la confrontation des sites d’analyse. Car réinvestir par les méthodes des sciences sociales la «première modernité» oblige à penser au plus près de ses matrices impériales la production des asymétries (entre Mythe et Histoire, entre Nature et Culture, entre Oralité et Ecriture, etc.) qui sont au principe de la fabrique du Grand Partage entre «l’Occident et le reste».

Programme 2010-2011
Vendredi 19 novembre, 10 h-13h. - Séance introductive: les historiographies de la «rencontre impériale»
  • Romain Bertrand (CERI-Sciences Po), «Propositions pour une histoire symétrique des situations de ‘‘rencontre impériale’’: le cas de l’Insulinde (16ème et 17ème siècles)» 
  • Stéphane van Damme (Centre d’histoire de Sciences Po), «Penser l’Europe par la rencontre coloniale, un détour? La mobilité des savoirs dans les circulations transatlantiques au 18ème siècle»

Vendredi 10 décembre, 10 h-13h. - Les écritures du contrôle impérial
  • Miles Ogborn (Queen Mary), “Writing, Reading and Speaking Empire. Evidence from the East India Company Experiment”
  • Adrien Delmas (EHESS), “The VOC (Dutch United East Indies Company) Writing System in the 17th Century”
Discutant : Julien Bonhomme (Musée du Quai Branly)

Vendredi 14 janvier, 10 h-13h. - Arènes et acteurs des zones-contacts: middle ground et go-betweens
  • Lissa Roberts (Université de Twente), «Situating Encounters. From “Centers and Peripheries” to “Centres of Accumulation and Management”»
  • Avner Ben-Zaken (Harvard University), “What is Cross-Cultural History ? Early Modern East Mediterranean Scientific Connections”
Discutant: Romain Bertrand (CERI-Sciences Po)

Vendredi 11 février, 10 h-13h. - La preuve par les Indes I: Natures d’empires
  • Emma Spary (Cambridge University), “Approaching the Go-between's Body: Imperial Encounters and Material Culture on French Voyages around 1800”
  • Juan Pimentel (CSIC, Madrid), “Reassembling the Natural: the Megatherium or the Non-human Go-between (Buenos Aires, 1788)”
Discutant: Jean-Frédéric Schaub (EHESS, CRH)

Vendredi 11 mars, 10 h-13h. - La preuve par les Indes II: Souverainetés aux marges
  • Martine Julia van Ittersum (Huygens Institute / La Haye), “Sovereignty on the Margins? The Case of Hugo Grotius (1604-1645)”
  • Guillaume Calafat (CRHM Paris 1), “The East Indies in the Mediterranean? The Battle of the Books, the Law of Prize, and Frontiers of Sovereignty (1600-1700)”
Discutante: Simona Cerutti (EHESS, CRH)

Vendredi 15 avril, 10 h-13h. - La preuve par les Indes III: Autorité des textes et vérités d’expérience 
  • Antonio Barrera (Colgate University), “Nature and Reports: Native American Knowledge and European Experience in the Making of the Early Modern Science”
  • Antonella Romano (IUE Florence), “Writing about China in the 17th Century. Mexican and Roman Perspectives between Texts and Experiences”
Discutant: Stéphane van Damme (Centre d’histoire de Sciences Po)

Vendredi 13 mai, 10 h-13h. - Le langage de la rencontre: traductions et malentendus
  • Aliocha Maldavsky (Université de Nanterre / Mascipo), “Malentendus missionnaires dans l’Amérique ibérique: histoire et historiographie” 
  • Paul Cohen (University of Toronto), «Naviguer un empire de Babel : la médiation linguistique comme outil politique et comme expérience sociale dans l’Amérique française (17ème–18ème siècles)»
Discutant: Alexis Tadié (Paris IV)

Lundi 20 juin, 13 h-17h. - Cités coloniales, villes morales? Honneur et réputation sur la ‘‘route des Indes’’
  • Nigel Worden (University of Cape Town), “Masculinity, Violence and Honour in 18th Century Cape Town”
  • Remco Raben (Utrecht University), “Law and Disorder in Dutch Asia. Ethnic Self-Rule and Company Justice in 18th Century Batavia and Colombo”
Discutant: Romain Bertrand (CERI-Sciences Po.)