Information transmise par A. Levasseur:
Université Paris 13
Centre de Recherches sur l'Action locale (CERAL, EA 3968)
Faculté de Droit, Sciences politiques et sociales
Les origines historiques de la gouvernance
Journée d'étude en l'honneur du professeur Philippe Sueur
Villetaneuse
Jeudi 18 juin 2015
Organisation
- Dominique Hiebel
- Aurelle Levasseur
Présentation
Peut-on trouver meilleur thème que la gouvernance pour rendre hommage à la carrière et vie publique du professeur Philippe Sueur, historien du droit à l'Université Paris 13, maire d'Enghien-les-Bains, vice-président du conseil général du Val-d'Oise, conseiller régional de la Picardie? La journée d'étude organisée en son honneur propose d'interroger par l'histoire ce concept si à la mode dans les discours politiques mais aussi dans les sciences sociales.
En France, le mot très polysémique de «gouvernance» est apparu dans les années 1980. Il s'est rapidement imposé dans les discours sur l'ingouvernabilité des États dans un contexte de mondialisation et de complexification des politiques publiques. Pour les uns, le terme est creux. La gouvernance ne serait qu'un effet de mode, un miroir aux alouettes destiné à entretenir l'investissement des acteurs publics (l'État a besoin de leur soutien financier) et l'accord des administrés (l'État a besoin de consensus), en leur laissant croire qu'ils participent au pouvoir politique. Pour les autres, la gouvernance est un nouveau paradigme de l'État qui en révêlerait les profondes mutations. Elle serait un cadre conceptuel, une «boîte à outil» qui accueille pêlemêle des considérations qui, pour les plus juridiques d'entre elles, attaquent de front les catégories et représentations traditionnelles du droit:
- La gouvernance est un nouveau mode d'exercice du pouvoir dans lequel l'État est en retrait. Il n'est plus l'État souverain accoucheur de l’intérêt général (Caillose 2013). Il est présenté soit comme un régulateur, un surveillant et un contrôleur des acteurs publics, soit comme un mobilisateur de ceux-ci. La gouvernance territoriale a notamment pû être définie comme «l'ensemble des situations de coopération non ordonnées par la hiérarchie qui correspondent à la construction, à la gestion ou à la représentation des territoires, en particulier face à leur environnement économique ou institutionnel» (Simoulin 2013).
- La gouvernance suppose aussi le retrait du droit, du moins tel qu'on l'entend aujourd'hui. Les décisions sont le résultat de négociations, de marchandages et de trocs entre les différentes parties. La gouvernance privilégie l'idée d'une adhésion de tous aux politiques publiques (démocratie participative). Les codes de conduite négociés deviennent prépondérants, la règle juridique perd de sa normativité, la pyramide des normes se décompose et la dichotomie droit public/droit privé s'efface (Joumard 2009 et Féral 2012).
Véritable nouveauté ou maquillage rhétorique d'une réalité fondamentalement inchangée (Caillosse 2013)? Le débat reste ouvert. Force est de constater toutefois que, à l'encontre des prédictions qui lui promettaient une disparition rapide, la notion ne cesse de croître et son emploi se fait toujours moins critique (Simoulin 2013). Désormais, la gouvernance s'invite même dans la recherche historique, qui l'utilise comme une commodité d'écriture ou qui y voit un instrument heuristique plus adapté à l'Ancien Régime que ceux qui sont issus des catégories du droit public1. Cette évolution se perçoit aussi dans les orientations épistémologiques de l'histoire du droit des quinze dernières années, qui s'intéresse à l'histoire des normes et délaisse les lectures étatistes de l'Ancien Régime axées sur la loi royale et sur les institutions, qui s'étaient développées dans les années 80 et qui défendaient une certaine idée de l'État mise à mal par le libéralisme et la construction européenne2.
La gouvernance et la recherche historique peuvent-elles mutuellement s'enrichir ? La question ouvre un champ de recherche encore largement inexploré, dont les axes sont pluriels. Au-delà de la réflexion sur les outils heuristiques de l'historien, elle invite par exemple à découvrir les acceptions historiques du mot, de manière à éprouver le postulat d'une historiographie qui, à l'aide des maigres données dont elle disposait, a identifié trois âges de la gouvernance3. La journée d'étude organisée en l'honneur du professeur Philippe Sueur s'attachera quant-à-elle aux origines historiques de la gouvernance, pour répondre à la question du degré d'innovation de ce cadre conceptuel. Est-il fondamentalement nouveau, comme l'affirment ou le supposent certains auteurs (ex. Mockle 2006)? Peut-on au contraire retrouver des logiques et concepts similaires dans l'histoire? La «police» de l'ancien droit est parfois présentée comme un possible ancêtre (Hermet 2005). Une certaine idée de la gouvernance serait aussi perceptible aux XVIIe et XVIIIe siècle, lorsque le terme fut employé comme un élément du débat relatif à l'équilibre des pouvoirs royaux et parlementaires (Gaudin, 2002). Face à ce champ de réflexion quasiment vierge, les pistes d'investigation sont multiples. On en propose ici quelques-unes, sans vocation à l'exhaustivité:
- Les acteurs légitimes de l'action publique. Qui est habilité à énoncer l'utilité publique/le bien commun? Sur quoi repose la légitimité des acteurs publics? Quel est leur statut? Comment sont-ils encadrés et sanctionnés?
- La nature de la norme. Quelles sont les normes qui encadrent l'action publique? Quelle est la valeur normative de la règle de droit dans la gestion des territoires? Est-elle la norme dominante ou une simple référence (ordre imposé/ordre négocié)? Quelle est la part du droit public dans la conduite des actions publiques (codes de conduite négociées, contractualisation des relations du pouvoir central et des acteurs de l'action publique, degré de cloisonnement du droit privé et du droit public, etc.)?
- La dichotomie entre les pratiques de gestion des territoires et les discours juridiques ou politiques.
Notes
1 Pour exemples: RIVAUD D., «Les fonctions de la gouvernance urbaine», chapitre trois de l'ouvrage Les villes au Moyen Âge dans l'espace français (XIIe -XVIe siècle), Paris, Ellipses, 2012, p. 65-87; La gouvernance des villes européennes au Moyen Âge/La gobernanza de la ciudad europea en la Edad Media, J. SOLORZANO TELECHEA et B. ARIZAGA BOLUMBURU (éd.), Logroño, Instituto de Estudios Riojanos, 2011 ; TRANCHANT M., «Au risque de l'étranger: un sujet majeur de gouvernance à la Rochelle à la fin du Moyen Âge», Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, n° 117-1, 2010, p. 91-108.
2 PETIT-RENAUD S. et ROUSSELET-PIMONT A., « Histoire des normes. L'émergence de la loi moderne », L'histoire du droit en France. Nouvelles tendances, nouveaux territoires, J. KRYNEN et B. D'ALTEROCHE (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 223-237.
3 Le premier âge correspondrait à l'époque médiévale. Le terme est en effet employé dès le XIIIe siècle dans diverses langues européennes. Découlant du mot désignant le gouvernail tenu par le timonier, il serait alors synonyme de «gouvernement». Au cours d'un second âge qui débuterait au XVIIe siècle, la gouvernance se sépare du «gouvernement» qui implique désormais une hiérarchie des pouvoirs pour désigner les sciences camérales du bon gouvernement. Le troisième âge serait le contemporain (Gaudin, 2002).
Bibliographie:
- CAILLOSSE J., «Questions sur l'identité juridique de la gouvernance», La gouvernance territoriale. Pratiques, discours et théories, R. PASQUIER, V. SIMOULIN, J. WEISBEIN (dir.), Paris, LGDJ, 2013, p. 29-67.
- FÉRAL F., «Préface» et «L'Etat régulateur matrice de la gouvernance», Le droit public à l'épreuve de la gouvernance, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2012, p. 9-14 et 23-48.
- GAUDIN J.-P., Pourquoi la gouvernance?, Paris, 2002.
- HERMET G. et KAZANCIGIL A., «Introduction», La gouvernance, un concept et ses applications, G. HERMET, A. KAZANCIGIL et J.-F. PRUD'HOMME (dir.), Paris, Karthala, 2005, p. 5-14.
- HERMET G., «La gouvernance serait-elle le nom de l'après-démocratie? L'inlassable quête du pluralisme limité», La gouvernance, un concept et ses applications, G. HERMET, A. KAZANCIGIL et J.-F. PRUD'HOMME (dir.), Paris, Karthala, 2005, p. 17-47.
- JOUMARD R., Le concept de gouvernance, 2009, p. 33 [En ligne] https://hal.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/489237/filename/rapport_gouvernance_RJ_LTE0910.pdf
- KAZANCIGIL A., « La gouvernance : itinéraire d'un concept », A la recherche de la démocratie : Mélanges offerts à Guy Hermet, J. SANTISO (dir.), Paris, Karthala, 2002, p. 113-123.
- MOCKLE D., « La gouvernance publique et le droit », Les Cahiers de Droit, n° 47-1, 2006, p. 89-165.
- SIMOULIN V., « Introduction », La gouvernance territoriale. Pratiques, discours et théories, R. PASQUIER, V. SIMOULIN, J. WEISBEIN (dir.), Paris, LGDJ, 2013, p. 3-25.
Programme
8h45-9h15 : Accueil des participants.
- 9h15-9h30. - Allocution de bienvenue par le doyen Didier Guével.
- Propos introductifs.
9h30-12h30. - Demi-journée d'étude sous la présidence du professeur Pierre-Charles Ranouil
- 9h30-10h10. - Antoine PÉCOUD, Professeur de sociologie à l'Université Paris 13, Un "gouvernement du monde" ou une "gouvernance mondiale" ? Usages et problèmes de la notion de gouvernance à l'échelle internationale.
- 10h10-10h50. - Yann POTIN, Chargé d'études documentaires principal aux Archives nationales et Maître de conférences en histoire du droit associé à l'Université Paris 13, Papiers publics en archives privées : la question de la gouvernance au prisme des archives des gouvernants, du statut juridique à la pratique archivistique.
10h50-11h10. - Pause.
- 11h10-11h50. - Aurelle LEVASSEUR, Maître de conférences en histoire du droit à l'Université Paris 13, Gouvernance, gouvernement et régime normatif des rues publiques médiévales.
- 11h50-12h30. - Pierre BONIN, Professeur en histoire du droit à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, "Les privilèges, source hybride du droit", outil de gouvernance sous l'Ancien Régime.
12h30-14h30. - Pause déjeuner.
14h30-16h50. - Demi-journée d'étude sous la présidence du professeur et doyen honoraire Catherine Lecomte
- 14h30-15h10. - Tiphaine LE YONCOURT, Maître de conférences en histoire du droit à l'Université Rennes 1, L'administration française au XIXe siècle: l'anti-modèle de la gouvernance?
- 15h10-15h50 : Jean-René GARCIA, Professeur en droit public associé à l'Université Paris 13, L'influence de Montesquieu dans les processus de gouvernance des constitutions latino-américaines.
15h50-16h10. - Pause
- 16h10-16h50. - Louis de CARBONNIÈRES, Professeur en histoire du droit à l'Université Lille 2., Les langues et le droit en Europe, une gouvernance?
16h50. - Débats et clôture.
Coordonnées
CERAL, Univ. Paris 13, 99 av. J.-B. Clément, 93430 Villetaneuse - http://www.univ-paris13.fr/ceral/
Renseignements pratiques
Lieu
- Université Paris 13, Campus de Villetaneuse, Institut Galilée, Amphithéâtre D
Accès au Campus et à l'amphithéâtre D.
- CAMPUS DE VILLETANEUSE, 99, av. Jean-Baptiste Clément - 93430 Villetaneuse.
- En voiture, à partir de Paris
- Porte de la Chapelle, prendre l'autoroute A1, direction Lille. Prendre la sortie n° 2 (Saint-Denis -Stade de France), puis direction Villetaneuse Université.
- En transports en commun, depuis Paris
- Depuis la Gare du Nord, prendre les trains de la ligne H (quais 30 à 36), jusqu'à la gare d'Epinay-Villetaneuse (suivre l'une des directions Persan-Beaumont, Valmondois, Monsoult-Maffliers ou Pontoise en vérifiant, sur le quai de départ, que le train s'arrête en gare d'Epinay-Villetaneuse).
- Arrivé(e) à la Gare d'Epinay-Villetaneuse, prendre la sortie côté Villetaneuse puis le bus 156 jusqu'à l'arrêt Université Paris 13. Le trajet peut aussi se faire à pied, compter 15 minutes pour un bon marcheur.
- Entrée principale
- Amphithéâtre D