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21 juil. 2015

revue "Travail et Emploi", Appel à contributions: n° thém: "Marges de l’emploi et protection sociale" (limite: 5 oct. 2015)

revue 
Appel à contributions

Numéro thématique
Marges de l’emploi et protection sociale

(limite: 5 octobre 2015)

Coordination
  • Mathieu Grégoire (UPJV, CURAPP-ESS)
  • Odile Join-Lambert (UVSQ, Laboratoire Printemps)
  • Catherine Omnès (UVSQ, Laboratoire Printemps)

Présentation
L’emploi et le travail d’un côté, la protection sociale de l’autre, sont souvent conçus par les sciences sociales contemporaines comme deux domaines d’analyse distincts. La revue Travail et emploi souhaite consacrer un numéro spécial pluridisciplinaire à des travaux de recherche liant ces deux champs d’étude. En particulier, le système de protection sociale français étant réputé reposer majoritairement sur le modèle de l’emploi salarié, stable et à plein-temps, il s’agit d’interroger le rapport qu’entretiennent les marges de l’emploi et la protection sociale. Depuis les années 1980, la multiplication des formes d’emploi atypiques suscite des débats sur l’adaptation du modèle français de protection sociale et pose la question de la construction de nouvelles formes de protections. La revue Travail et Emploi souhaite, dans le cadre de ce numéro, mettre enperspective historique ces constats en en interrogeant la pertinence sur le temps long. 

L’histoire de la construction du système de protection sociale français est intimement liée à celle du salariat. La sphère de la protection sociale et celle du travail sont ainsi étroitement articulées l’une à l’autre. Dès le XIXe siècle, des réalisations fondées sur des logiques diverses (corporatistes ou paternalistes) voient le jour, par exemple chez les mineurs, les cheminots ou les fonctionnaires. Progressivement, la prévoyance et l’assistance laissent la place, avec les retraites ouvrières et paysannes de 1910 puis les lois de 1928 et de 1930 sur les assurances sociales, à l’obligation de cotisation pour les salariés ayant des rémunérations inférieures à un plafond. Dans cette architecture, les strates supérieures des salariés, ainsi que tous ceux qui ne sont pas salariés (indépendants, artisans, agriculteurs, etc.), relèvent de l’assurance facultative ou de l’assistance. 

À la Libération, le système de protection sociale est censé se généraliser à l’ensemble des salariés, mais c’est loin d’être le cas en pratique. Associé au modèle d’emploi stable et à temps plein, le nouveau système mis en place couvre mal ou partiellement des franges non négligeables du salariat concernées par la flexibilité et l’intermittence de l’emploi (1). Quant aux autres actifs (indépendants (2), professions libérales, etc.), ils accèdent aussi à une protection sociale mais dans des caisses spécifiques, marquant leur souhait de se tenir à distance de la solidarité interprofessionnelle de la Sécurité sociale. Une partie du salariat se trouve ainsi mal ou partiellement couverte par les institutions de protection sociale, tandis que les fonctionnaires ont leur régime particulier.

Depuis le milieu des années 1970, l’accroissement du chômage de masse, l’élévation des niveaux d’exigence des recrutements et des modes de gestion ont donné à la question de l’adaptation du modèle de protection sociale une importance accrue. Les discontinuités, la montée en puissance de multiples formes atypiques du travail et de l’emploi, la banalisation de l’intermittence, la difficulté pour une fraction importante des jeunes à entrer sur le marché du travail et pour une autre, la difficulté de s’y maintenir quand l’âge avance, ont profondément déstabilisé le monde du travail3. Parallèlement, le système de protection sociale s’est aussi beaucoup transformé : par un regain de la solidarité nationale dans lignée de la mise en place du RMI en 1988, par la réafirmation d’une logique plus contributive dans le cadre des systèmes d’assurance sociale, par l’assignation d’une nouvelle fonction d’incitation au retour à l’emploi ou encore, par l’apparition de nouvelles ambitions comme celle de construire les droits sociaux non plus en les attachant au « poste » mais à la « personne » (comptes formation, comptes pénibilité, droits rechargeables, etc.) afin de permettre une meilleure « sécurisation des parcours ». On peut ainsi se demander si l’élargissement de la protection sociale au-delà de l’emploi n’est pas une tentative de parer à la progresssion d’une société à deux vitesses.

Les contributions attendues pour ce numéro de Travail et emploi viseront donc à éclairer, sur l’une des trois périodes, ou plusieurs d’entre elles, l’évolution du lien entre les marges de l’emploi et du travail et celles de la protection sociale. Les articles pourront prendre comme angle d’observation les populations (jeunes, vieux, femmes, étrangers, malades, invalides, inaptes, déficients, etc.), les dispositifs, les professions, dans leurs environnements géographiques, sociaux, politiques ou économiques. Dans le contexte des trois étapes de l’évolution conjointe des marges du travail et de la protection sociale, l’objectif est de mesurer le degré d’adaptabilité et de réactivité des institutions, des acteurs des deux processus, de mettre au jour les facteurs d’amplification, d’atténuation ou de pérennisation de ces marges. La capacité d’ajustement de la protection sociale aux changements du marché du travail pourra aussi se lire aux résultats obtenus en termes de réduction des inégalités sociales non seulement entre les différentes composantes des marges du travail mais aussi entre le centre et les périphéries.

Toutes les formes de discontinuités de l’emploi et de porosité des frontières du travail peuvent être considérées pour ce numéro : les hybridations entre emploi, chômage et inactivité à l’échelle de la carrière (par exemple les carrières des femmes), à l’échelle de l’année (saisonnalité, contrats à durée déterminée, etc.), voire sur des temporalités plus courtes (intermittents, intérimaires, etc.) ; les formes d’emploi à temps partiel ; les discontinuités et les irrégularités en termes de salaires, d’employeurs, de branches, de territoires (pour les travailleurs mobiles ou transfontaliers), de formes d’emploi (indépendance, formes hybrides comme le bénévolat, les stages, le volontariat, services civiques et autres zones grises entre salariat et indépendance), mais aussi de secteurs entre le public et le privé, en particulier les conséquences du développement du « marché » des auxiliaires et des vacataires sur la protection sociale (sur la retraite, notamment) des fonctionnaires qu'ils soient ou non titularisés (4).

Les marges de la protection sociale, tout aussi difficiles à objectiver, ont fait l’objet de nombreux travaux par l’étude de la mise en place de dispositifs (d’assurance chômage5, de lutte contre la pauvreté, d’invalidité, de santé au travail, etc.), sans que soit nécessairement fait le lien, à de rares exceptions près6, avec les discontinuité des formes de travail et d’emploi. Or dans les branches où les prestations sont liées aux statuts d’emploi, qu’il s’agisse des dispositifs de retraite pour inaptitude, invalidité ou des dispositifs de lutte contre la pauvreté (RMI/RSA), ou encore d’accès à la santé (CMU) (7), les inégalités d’accès à ces dispositifs en fonction de l’activité antérieure peuvent s’atténuer ou se reproduire, ou d’autres formes d’inégalités (de genre, d’âge, par exemple), se créer et se maintenir (8). Pour se différencier de ces travaux, les propositions attendues pour ce numéro spécial pourront par exemple s’attacher à une population relevant d’un dispositif de protection sociale en étudiant les parcours professionnels sur la durée de cette population afin de mesurer l’efficacité du dispostif, ses inégalités de genre, d’âge, d’origine sociale ou géographique. On pourra aussi poser la question des difficultés d’articulation entre différents dispositifs de protection sociale (comme c’est le cas pour les « mattermittentes » dans l’articulation entre indemnisation chômage et congés maternité, ou encore pour les « polypensionnés »).

Afin de mieux comprendre les particularités françaises, des éclairages sur les évolutions depuis les années 1980 du droit du travail, des garanties de l’emploi et des systèmes de protection sociale dans d’autres pays d’Europe ou dans les pays du Sud seront les bienvenus. Dans les pays du Nord « universalistes » qui n’ont pas l’attachement passé à des cotisations assises sur l’emploi et la vie active, l’effritement de la condition salariale conduit à s’interroger sur les déterminants qui président à ce déplacement des marges de l’emploi et sur ses effets. Dans les pays nouvellement industrialisés, comment est-il possible d’identifier et d’interpréter les formes nouvelles émergeant aujourd’hui ? Dans les pays du Sud, où souvent l’auto-emploi et le travail familial prédominent et où la généralisation de l’emploi salarié s’avère illusoire, quel est l’impact des programmes de prise en charge des demandeurs d’emploi ou des dispositifs de mise au travail ? Une autre entrée pourra concerner la façon dont, selon les pays, les travailleurs migrants « rapatrient » leurs droits dans leur pays et, inversement, comment ils les utilisent dans le pays d’origine (9).

  • Modalités de réponse et calendrier
La revue Travail et emploi souhaite établir un panorama pluridisciplinaire présentant des analyses empiriques nouvelles. Les contributions pourront s’inscrire dans diverses disciplines (sociologie, histoire, économie, droit) et s’appuyer sur plusieurs méthodes (statistiques, archives, entretiens).

Les contributeurs/trices sont invité.e.s dans un premier temps à proposer une intention d’article de 5000 à 7000 signes environ (trois à quatre pages), présentant clairement la question de recherche étudiée, les matériaux utilisés et les méthodes de recueil de ces matériaux.

Ces intentions sont à envoyer par courriel, en pièce jointe, à la rédaction de la revue travail.emploi@dares.travail.gouv.fr et, en copie, à mathieu.gregoire@u-picardie.fr, odile.joinlambert@uvsq.fr, et catherine.omnes@gmail.com pour le 5 octobre 2015 au plus tard.

Les auteur.e.s dont les projets auront été retenus devront ensuite envoyer leur article complet au format Word (ou équivalent) pour le 4 février 2016.

Pour plus de détails sur les attendus de présentation, vous pouvez consulter l’article « Normes graphiques » sur le site de la revue.

Les articles feront l’objet d’une évaluation par des référés, selon la procédure en vigueur au sein du comité de rédaction de la revue (voir la rubrique «Procédure d’évaluation»).


Notes
1 Grégoire M. (2013), Les intermittents du spectacle. Enjeux d’un siècle de luttes (de 1919 à nos jours), Paris, La Dispute.
2 Bruno A.-S. (2014), « Retour sur un siècle de protection sociale des travailleurs indépendants. France. XXe siècle », in Célérier S. (dir.), Le travail indépendant. Statut, activités et santé, Paris, éditions Liaisons Sociales, pp. 31-52.
3 Fourcade B. (1992), « L’évolution des situations d’emploi particulières de 1945 à 1990 », Travail et emploi, n° 52, pp. 4-19.
4 Join-Lambert O. (2001), Le receveur des postes, entre l’État et l’usager (1945-1973), Paris, Belin ; Beau A.-S. (2004), Un siècle d’emplois précaires. Patron-ne-s et salarié-e-s dans le grand commerce (19e-20e siècles), Paris, Payot.
5 Daniel C., Tuchszirer C. (1999), L’État face aux chômeurs. L’indemnisation du chômage de 1884 à nos jours, Paris, Flammarion.
6 Omnès C. (2006), « Hommes et femmes face à la retraite pour inaptitude de 1945 à aujourd’hui », Retraite et société, n° 49, pp. 77-97.
7 Elbaum M. (2007), « Protection sociale et solidarité en France. Évolutions et questions d’avenir », Revue de l’OFCE, n° 102, pp. 559-622.
8 Fagnani J., Math A. (coord.) (2013), « Emplois et statuts atypiques, quelles protections sociales ? », Revue française des affaires sociales, n° 4.
9 Conrad C. (2014), « Pour une histoire des politiques sociales après le tournant transnational », in Brodiez-Dolino A., Dumons B., La protection sociale en Europe au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, pp. 75-98.