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21 janv. 2011

UCL, CHDJ, Colloque internat: "Jeunesse et violence: Approches socio-historiques", Bruxelles, Pianofabriek , 27-28 janv 2011

Information transmise par D. Niget:
Université catholique de Louvain

Colloque international
Jeunesse et violence: Approches socio-historiques

27-28 Janvier 2011
Bruxelles, Pianofabriek


Présentation
L’actualité convoque de manière récurrente la question de la violence juvénile au premier rang des préoccupations des citoyens. S’entrecroisent dans les discours médiatiques la figure de l'enfant victime, à laquelle l’opinion se montre de plus en plus sensible, et celle du jeune agresseur, qui est au contraire l’objet de diabolisation. Depuis les années 1990, pouvoirs publics, intervenants sociaux et acteurs associatifs sont sommés de proposer des mesures de prévention et de traitement à l’égard d’une violence perçue comme exponentielle, qu’elle soit exercée ou subie par les enfants et les jeunes. Saisi par cette demande sociale, le personnel politique a fait de la sécurité et de la gestion des risques sociaux un nouveau mode de gouvernementalité.
L'action de recherche concertée, menée depuis 2007 à l'Université catholique de Louvain par une équipe pluridisciplinaire (historiens, criminologues, sociologues), vise à étudier dans la longue durée les conditions sociopolitiques d'émergence de comportements et situations désignés comme violents, dont les jeunes seraient auteurs et/ou victimes. Ce colloque se propose d’explorer cette problématique en quatre temps :
I. - Violences juvéniles: la construction d’un problème social. Rébellion & « violences politiques »
Un grand flux d’informations qui lient de façon causale les jeunes à la violence nous submergent depuis presque un demi-siècle. Informations provenant des sources différentes (communications médiatiques, discours politiques et recherches scientifiques) et touchant des publics assez différenciés, elles arrivent à lier une catégorie d’âge à un large éventail de comportements violents de façon à occulter les procédures qui font que ce couplage est plus artificiel qu’il ne le paraît. Nous perdons vue de tout le travail de construction se trouvant derrière le problème que nous appelons « violences juvéniles ».
Comment peut-on éclairer l’artefact que constitue le problème de la violence juvénile ? A l’aide de quels concepts peut-on travailler pour déconstruire ce qui est de l’ordre du « sens commun » ? Sur quelles sources peut-on travailler et à l’aide de quelles méthodologies peut-on procéder ? Quelles sont les limites de ces dernières ? Plus spécifiquement, la présente session du colloque s’attache à penser les relations entre les différentes catégories d’acteurs qui contribuent à la construction sociale de la violence juvénile (champ politique, scientifique, médiatique, acteurs publics et privés de la sécurité).
Nous proposons de nous arrêter notamment sur la question de la « violence politique ». Celle-ci peut aussi bien concerner les comportements violents qui se veulent politiques en raison du choix de leur cible (rébellions, outrages et faits de violences envers les représentants de l’autorité) ou à cause de la peur qu’ils engendrent et de la mobilisation accrue du monde politique qu’ils provoquent à travers la « taille » des dégâts et la visibilité (l’image-spectacle) de la violence (émeutes, terrorisme).
II. - Jeunes, violences, médias : Des paniques morales aux discours de peur
C’est en s’intéressant aux polémiques provoquées par l’affrontement de deux bandes de jeunes déclenché en 1964 dans une ville balnéaire anglaise, que Stanley Cohen (1972) développe le concept de panique morale. Ce concept lui permet de comprendre le processus d’emballement déclenché à la suite d’un événement mineur et pourtant perçu comme une grave menace à l’ordre moral ou social. Partant de l’apparition de l’événement jusqu’à ce qu’on n’entende plus parler de cet épisode, il analyse la succession des acteurs qui prendront part à la panique (médias, force de l’ordre, politiciens, groupes de pression, entrepreneurs de morale, experts…).
Ce concept, fertile dans la littérature anglo-saxonne, s’est révélé particulièrement éclairant dans sa capacité à faire ressortir à la suite d’un événement (par exemple un meurtre commis par un jeune) le processus de désignation et de stigmatisation d’un coupable (tel que les images violentes), le processus d’emballement des discours (dans les médias, par les journalistes, les hommes politiques, les experts, les autorités morales et religieuses…) et le processus de distorsion des faits.
Cet atelier, en anglais, propose une discussion scientifique du concept de panique morale. Il s’inscrit dans le programme préconisé par Chas Critcher visant à élargir le cadre conceptuel des paniques morales. Martin Barker nous présentera une analyse de la panique récente autour des « video nasties ». (A partir des années 80, une nouvelle série de films d’horreur a suscité de virulentes réactions en Angleterre. Des groupes de pression et des politiciens se sont emparés de l’affaire et, à l’aide d’un soi-disant rapport parlementaire, sont parvenus à mettre à l’index une septantaine de films). Ensuite, dans une perspective historique, nous verrons avec Chas Critcher que cette panique s’inscrit dans une série d’autres paniques antérieures et postérieures provoquées par l’apparition d’autres média – cinéma, bandes dessinées, télévision, jeux vidéo. Finalement, avec Anne Laure Wibrin, nous inscrirons ces épisodes dans un processus plus large de moralisation afin de comprendre la fabrique des peurs et des imputations causales qui aliment les moments de panique.
III. - Violences juvéniles sous expertise(s), XIXe-XXIe siècles
Dans la construction historique du problème social que constitue la violence juvénile, que celle-ci soit exercée ou subie, le rôle de l’expertise est primordial. La violence, phénomène intime et social, étroitement associé avec l’état de jeunesse, oscille entre l’objectivité de ses manifestations et la subjectivité de sa perception. Elle se mesure à l’aune de son énoncé dans la sphère publique. L’expert, agissant au cœur ou à la lisière du système institutionnel de protection de la jeunesse, peut être celui qui recueille cette expression et celui qui la met en forme. Ainsi, l’expérience de la violence chez les jeunes est médiatisée par les formes de discours savants que produisent les experts.

Les experts ont très tôt investi cette question de la violence. Dès le XIXe siècle, la médecine légale épaule la justice en cherchant à en identifier les traces corporelles. Puis, au XXe siècle, une expertise diversifiée contribue largement à l’extension de la définition de la violence, passant du visible à l’invisible, de la violence physique à la violence psychique, voire même à la violence symbolique. Les experts dépassent alors la posture du simple diagnostic pour investir le champ du traitement de la violence, s’inscrivant dès lors dans une démarche de soin et de réhabilitation sociale.

Cette expertise, avatar de la modernité rationnalisatrice, s’est progressivement organisée dans le champ social au XIXe siècle, auprès de la justice en particulier, au point d’occuper, au XXe siècle, une position dominante dans le champ de la protection de la jeunesse. Médecins, psychiatres, puis psychologues, pédagogues, sociologues et anthropologues ont investi la question de la jeunesse irrégulière, contribuant ainsi à la définition d’une population-cible pour les politiques publiques.
IV. - Ville, violence et jeunesse en Europe. Une approche socio-historique dans la longue durée
Avec la jeunesse, l’espace urbain agit aux yeux de l’opinion comme facteur étiologique de la violence, et ce depuis des temps anciens. L’industrialisation massive de l’Europe occidentale dans la seconde moitié du XIXe siècle entraîne une massification croissante des populations dans les espaces urbains, dont une forte proportion de jeunes gens. Cette concentration des jeunes en milieu urbain engendre, au tournant des XIXe et XXe siècles, l’émergence de ‘cultures de la jeunesse’, un phénomène qui se confirme au sein des villes européennes pendant l’entre deux-guerres et à l’issue du Second conflit mondial.
Ces concentrations des milieux populaires au sein des villes alarment le monde adulte contemporain qui réagit par diverses tentatives d’encadrement de la jeunesse au moyen de mesures ‘disciplinaires’ comme l’obligation scolaire ou le service militaire obligatoire. Ces mesures initiées à la veille du Premier conflit mondial perdureront durant tout l’entre-deux-guerres, en intensifiant le contrôle sur les loisirs et les règlementations sur la consommation d’alcool ou l’usage des armes.
La meilleure visibilité des jeunes au sein des villes soulève différentes questions sur la relation entre l’espace urbain, la jeunesse et la violence. La recherche associe habituellement ville et violence ou jeunesse et violence, voire jeunesse et ville, mais la problématique de la violence des jeunes dans l’espace public urbain n’a pas encore fait l’objet de synthèse. L’enquête historique constitue dès lors un outil précieux permettant l’analyse comparée et chronologique de comportements, représentations, régulations et réactions pénales à l’égard de la violence, à des échelles différentes.
Comité organisateur
  • Brion, Fabienne, Professeur de Criminologie, Université catholique de Louvain
  • Chaumont, Jean-Michel, Chercheur qualifié du FRS-FNRS, Professeur de Sociologie à l’Université catholique de Louvain
  • De Fraene, Dominique, Professeur de Criminologie, Université libre de Bruxelles
  • François, Aurore, chargée de recherches FRS-FNRS, Université Catholique de Louvain
  • Jaumain, Serge, Professeur d’Histoire, Université libre de Bruxelles
  • Niget, David, Chargé de recherches post-doctoral, Université catholique de Louvain
  • Rousseaux, Xavier, Maître de recherches du FRS-FNRS, Professeur d’Histoire à l’Université catholique de Louvain
  • Schaut, Christine, Professeur de Sociologie aux Facultés universitaires Saint-Louis
Comité scientifique

  • Chauvière, Michel, Directeur de recherches au CNRS, Directeur adjoint du CERSAP, CNRS- Université de Paris II Assas
  • Christiaens, Jenneke, Professeur de Criminologie à la VUB 
  • Farcy, Jean-Claude, Chargé de recherches du CNRS, Centre Georges Chevrier, CNRS-Université de Dijon
  • Harcourt, Bernard, Julius Kreeger Professor of Law & Criminology and Chair and Professor of Political Science, University of Chicago
  • Kalifa, Dominique, Professeur d’histoire, Université de Paris I Sorbonne
  • Marlière, Eric, Docteur en sociologie, chercheur au CeRIES (Centre de recherche « Individus, Épreuves, Sociétés »), Maître de conférences à l’Université de Lille 3
  • Roberts, Julian, Professor of Criminology, Fellow of Worcester College, Assistant Director of the Centre for Criminology, University of Oxford
 Deux volumes traitant précisément de ces questions paraîtront à l'occasion du colloque :
  • Violences juvéniles sous expertise(s) XIXe-XXIe siècles. Expertise and Juvenile Violence 19th-21st Century, édité par Aurore François, Veerle Massin et David Niget, Presses universitaires de Louvain, 2011, 294 p.
  • Violences juvéniles urbaines en Europe. Histoire d’une construction sociale, édité par Xavier De Weirt et Xavier Rousseaux, Presses universitaires de Louvain, 2011, 264 p.
 Colloque organisé dans le cadre de l’Action de Recherche Concertée « Jeunesse et violence en Belgique » (UCL) – Centre d’Histoire du Droit et de la Justice ; Centre de recherches interdisciplinaire sur la déviance et la pénalité ; Chaire Hoover.
 Pour tout renseignement: Magali Dupont